mercredi 30 novembre 2011

Caresser le Lion. Marseille - Barcelone

Mardi 22 novembre. Belle escale, beau départ. Jusqu'au dernier moment Marseille aura fait les choses en grand et en beau. Mais j'avoue, je suis contente de repartir en mer. Les 15h de nav entre La Ciotat et Marseille ont eu un goût de trop peu, de trop court qui rend ce nouveau départ grisant. La météo dicte mes escales et il m'a fallu attendre quatre jours ici. Gérald et Bernard, mes routeurs, sont ok, la fenêtre est bonne et le départ possible. Sur l'eau, 15 - 20 noeuds de vent de secteur Nord Nord Est. Parfait. Tara Tari s'éloigne, file fièrement laissant derrière lui, la ville grouillante, les cigales qui ne chantent pas l'hiver, l'huile d'olive, l'OM, le romarin et l'archipel du Frioul.

départ de Marseille le mardi 22 novembre 2011
Cap à l'Ouest. A l'Ouest, oui, et non pas au Sud-Ouest. Bien que la fenêtre semble correcte, les dégradations surprises sont une réalité trop réelle et représentent un risque trop risqué. Longer la côte et contourner le Golfe du Lion; ce n'est pas la route la plus courte mais certainement le chemin le plus prudent pour arriver jusqu'à Barcelone. Et puisqu'il s'agit de partir en sécurité, pour ce passage délicat, nous serons deux à bord; Maxime Dreno m'accompagnera jusqu'à la ville catalane.

Le Golfe du Lion. Rien qu'au nom, on comprend que l'on n'est pas là pour rigoler. La comparaison avec l'animal ne date pas d'hier. A l'époque où l'on parlait latin on l'appelait déjà Mare Leonis. Cette comparaison est due au fait que cette partie de la mer est aussi dangereuse qu'un lion, car elle connaît des vents violents et soudains qui menacent les bateaux. Je n'invente rien, c'est ce que l'on peut lire dans le dictionnaire français de noms de lieux de Deroy et Mulon ou encore dans l'Encyclopédie française de Diderot et Alembert. C'est dire!
Tout le monde m'a mis en garde sur cette partie de mer "Ne cherche pas à le traverser même si tu penses que c'est bon". N'ayant jamais dompté de fauves, je ne vais pas commencer maintenant. Voici la route prévue et parcourue à bord de Tara Tari :

de Marseille à Bacelone, attention au Golfe du Lion
La tempête des derniers jours a soulevé la mer. Poussé par la grosse houle venue du Sud, Tara Tari ne mérite pas les incessantes petites claques des vagues du Nord-Est et de surface qu'il se prend dans la coque. C'est pénible. On aurait dû lui dire, à la Med, que le jeu c'est "mots croisés", et non pas "mer croisée". Ce phénomène connu, n'est pas très intéressant à vivre. La houle pousse dans un sens mais la mer est, en surface, recouverte de petites vagues qui vont, elles, dans le sens opposé. Concept artistique. Mais là, bord d'un petit voilier de pêche comme Tara Tari, je n'ai pas envie de jouer les artistes. Chevauchée maritime, j'espère que la bateau ne souffre pas trop. Chère Méditerranée, s'il te plaît, cesse ta croisade.

L'eau est plus chaude que la terre, alors à l'heure où les terriens dorment, une brise nocturne s'installe. Une autre habitude du coin, je prends note de ces phénomènes, bons repères pour les jours de mer à venir. La brise, en digne gardienne de nuit, a le mérite de nous faire parcourir des milles sans trop de difficulté. Nous fonctionnons pas quart de deux heures. Il est 3h du matin quand je viens relayer Maxime, le bateau est un peu trop sur la tranche à mon goût et je prends un ris dans la grand voile. Prendre un ris, c'est à dire réduire un peu la toile, permet de gagner un peu en stabilité sans pour autant perdre en vitesse. Tout va bien à bord. La Camargue est bien sombre, sans pollution lumineuse dans cette nuit noire. L'obscurité est un bon moyen de jauger la présence humaine sur ces morceaux de nature sauvage. La lune se lève timidement, montre un petit croissant tout fin vers 4h du matin. 4h du matin, déjà. La nuit se passe bien, se passe vite. Le vent soutenu a porté Tara Tari vers le 270° à bonne allure.. au petit matin, nous avons déjà parcouru près de 70 milles! Excellent! Bravo petit bateau!
Le soleil levé commence à me réchauffer, le ris libéré, Tara Tari avance doucement et ce matin, la barre dans une main, je tourne, de l'autre, les pages d'un bon petit livre. Et je savoure ce temps en mer.


Nous sommes en Med, et comme la légende n'en est pas une, le vent passe du tout au rien. Il est 9h du matin et le vent tombe. Mais tombe vraiment. Genre même pas un petit soupir de rien du tout. La mer s'est endormie. Lisse, elle s'efface au profit du grand ciel bleu qui se reflète en surface. Jeunesse de la journée, pas une ride sur l'eau. Tara Tari est là, se tient sagement sur ses dérives et ne bouge plus. A trois milles de Sète, c'est la pause. Les heures passent, pas la pétole.

La pétole. Autre concept artistique maritime. La pétole, c'est le mot que l'on donne à l'absence totale de vent... Et l'absence de vent, à bord d'un bateau à voile, c'est assez éprouvant. Les voiles sont lasses. Le bateau tourne en rond, au gré d'on ne sait quoi. Parfois il vaut mieux affaler, attendre que ça passe. Ne pas relever que l'étrave pointe vers la direction opposée. Parfois aussi, certains allument le moteur pour se dépatouiller de cette glue naturelle. Le moteur. Sujet encore un peu tabou à bord. (je n'arrive toujours pas à le démarrer..) Aux grands maux, grands moyens: Et si je sortais les rames offertes par les gars du port de Marseille?! Allez, j'essaie.
Maxime se réveille d'une sieste, rigole, prend l'autre rame et aussi le GPS portable, pour voir si notre vitesse augmente. Yes! ça marche. 1 noeud indique le GPS complaisant, l'étrave vers l'Ouest, nous sommes à fond. En tout cas nous l'étions, au début.
panne de vent au large de Sète
12h. Sans rire. 12h de pétole à ne pas avancer. Test de patience. Englués devant Sète, nous chantons pour nous distraire et rythmer les coups de pagaies. Quelques chansons de Georges Brassens qui est enterré à Sète, notre manière à nous de lui rendre hommage. Enfin j'espère qu'il l'aura pris comme ça, parce que les chansons de Brassens sont dures à chanter. Mais ce qu'il y a de bien, au large de tout, c'est que tu as le droit de chanter faux sans que cela ne gêne qui que ce soit. Soupir. Nous rions, car là encore l'humour est un bon remède. La nuit tombe et il n'y a toujours pas de vent. Je commence à en avoir plein les bras, moi, de ramer. Sous ses airs de kayak, Tara Tari n'en est pas un, et n'avance pas super vite.

La nuit arrive et normalement, si tout est logique, elle devrait avoir le vent pour compagnon de virée nocturne. Mais la lumière est éteinte et toujours pas de vent. Tour d'horizon. Quelle étrange ambiance. Le ciel, marron foncé, est au loin, tout noir. L'eau est toujours aussi lisse. Il n'y a pas un bruit, et une petite brume fait de ce décor, le cadre parfait d'un tournage de film de pirates. Il se passe quelque chose. Quelque chose de menaçant. Rien qui ne m'inspire l'envie de chanter encore. Même pas peur mais bon, le calme est trop calme. Je décide d'envoyer un petit message à Gérald lui expliquant la situation. Gérald me répond aussitôt... "le vent va se lever. Force 7". Ok, merci de l'info, "je file me mettre à l'abri à Sète alors". Le vent est revenu, et nous enchainons les virements pour entrer au port. Mais un nouveau petit message de Gérald arrive "si tu es vraiment devant Sète alors c'est bon, ça bastonne un peu plus au sud, tu devrais pouvoir passer". Je réfléchis, lis le message à Maxime. "C'est trop bête de s'arrêter à Sète, je suis d'avis de continuer, en restant près de la côte, on pourra toujours aller s'abriter plus loin, au Cap d'Agde ou à Valras Plage" Maxime est ok. "Alors on continue!" je suis ravie et préviens aussitôt Gérald. Et c'est ainsi que nous poursuivons notre route. Le vent est fort, la mer courte et croisée mais la navigation est cependant tout à fait praticable. Un ris dans la GV et Tara Tari prend sa revanche sur la journée passée à l'arrêt.

Nuit et jour, on file au portant jusqu'au moment où il a fallu mettre le clignotant à gauche, vers le Sud, car à force d'aller vers l'Ouest, Tara Tari est arrivé aux pieds des Pyrénées. C'est super de voir ainsi, les montagnes enneigées.
dessert paradoxal au pied des Pyrénées
10-15 noeuds prévus pour les trois prochains jours, et au portant: les conditions rêvées pour passer le redouté Cap Creus. Gérald me confirme que c'est ok pour continuer vers Barcelone. youpi!

Le Cap Creus est le premier passage un peu chaud de mon périple. Il s'agit du point le plus à l'Est de la péninsule ibérique. Promontoire abrupt et rocheux de 672 m d'altitude, le Cap Creus a inspiré le peintre Salvador Dali de l'un de ses tableaux, « Le Spectre du sex-appeal » (1934), mais n'inspire en revanche toujours pas les marins, qui redoutent les grosses vagues et le vent fort qui caractérisent le passage du dit Cap. "Creus" signifie Croix en Catalan, ça a peut-être un rapport.


Nous passons Creus de nuit, alors je n'aurais vu de lui qu'une silhouette de roches et le feu de son phare qui se trouve à plus de 87 m d'altitude, et dont la lumière peut être perçue à une distance de 34 milles. Par chance, les conditions sont bonnes, et nous passons sans difficulté ce passage clé. Quelques empannages et hop, le cap est passé. Tara Tari glisse désormais au portant le long des côtes espagnoles. Le soleil se lève, la Costa Brava est superbe. Le bonheur.

Tara Tari arrive en Espagne
L'Espagne. Il est temps de penser au "pavillon de courtoisie" qu'il faut hisser à tribord. Il s'agit du pavillon des eaux territoriales dans lequel se trouve le bateau, c'est une règle obligatoire en mer et ça sent donc l'atelier couture à bord de Tara Tari. Dans le petit sac en coton plein de pavillons, je prends le pavillon Roméo qui devrait faire l'affaire.

Le pavillon "R" Roméo signifie, seul, "Reçu" ou encore "j'ai reçu votre dernier message"


un peu de couture
et voilà!
Perfecto tout ça! Et il n'y aura qu'à découdre pour retrouver Roméo. Rien ne se perd, rien ne se créé tout se transforme, disait notre ami Antoine de Lavoisier. C'est valable aussi pour les pavillons.

 Après 3 jours de mer, il ne reste plus que quelques milles pour arriver à Barcelona. C'est une belle étape de faite. Comme quoi, il ne faut pas tenter l'impossible. Ne pas provoquer le Lion, le caresser, dans le sens du poil et passer ainsi sans péril. En l'abordant ainsi, le Golfe du Lion aura eu des airs de Lionceau. De ceux qui vous chante "Akunamatata... tu vivras ta vie, sans aucun souci...."

Encore 2 jours le long de la Catalogne, pour une ETA samedi. Tout va bien à bord, l'ambiance est au top et Tara Tari n'a pas un petit bobo à soigner!

A très vite pour la suite du récit!
Capucine

lundi 28 novembre 2011

Heraclitus - rencontre à Marseille

Lundi 21 novembre. Tout est prêt et je vais reprendre la mer demain puisqu'une fenêtre météo semble favorable. J'aurais aimé avoir le temps de connaître mieux Marseille et de profiter encore, mais la seule chose qui me tienne vraiment à coeur avant de partir est d'aller à la rencontre de l'équipage de cet étrange bateau, amarré lui aussi au vieux port, et que j'avais remarqué le matin de mon arrivée.
Ce bateau s'appelle " R.V. Heraclitus", R.V. pour Research Vessel. Une sorte de jonque sortie tout droit d'un pot de pâte à modeler, un bateau qui a de la "gueule". Une bonne bouille qui évidemment m'attire.

R.V. Heraclitus
Les gars du port m'ont aidé à traverser, et j'arrive devant cette jonque si belle, si toute pourrie, et si attachante. A côté de ce bateau, Tara Tari fait très neuf et luxueux, pense-je en approchant. En silence sur le ponton j'observe l'engin. Une tête sort d'un hublot tout rond. J'ai l'impression d'être dans un film type Charlie et la chocolaterie, c'est assez surréaliste. Il s'agit de la tête d'une fille espagnole qui m'explique qu'ils lavent les fonds du bateau, qu'elle ne peut pas trop sortir. De toute façon, à ce moment là, je dois rester concentrer sur ma mission de la matinée: aller aux douanes. Je regarde cette petite tête brune et bouclée qui sourit et lui dis que je repasserai d'ici lundi. "Parfait! A bientôt!" me dit-elle en refermant le hublot tout rond.

Quand je dis que le bateau semble avoir été fait avec de la pâte à modeler, ce n'est pas tout à fait faux. Le navire à la forme d'une jonque, mais en apparence, tout est arrondi, irrégulier et inhabituel. Heraclitus a été fabriqué avec un matériaux qui s'appelle le ferro-ciment. Ce qui lui donne cet aspect de pâte à modeler.
Heraclitus, jonque en ferro-ciment
Le ferro-ciment implique un type de construction dont les principes d'architectures sont proches d'une coque bois, mais les matériaux employés et leur mise en œuvre très différents. La construction repose sur une ossature d'armature métallique (quille, couples, varangues) constituée d'armature béton d'un diamètre assez important et mise en forme au gabarit de la coque. Leur section varie selon la résistance attendue, les liaisons sont particulières aux coques de bateau pour ne pas créer de sur-épaisseur. Sur ces armatures sont tendues des nappes de grillage treillis très dense, dont le nombre varie selon la solidité, donc l'épaisseur de coque à atteindre. Le liant, à base de ciment à granulométrie et dosage très bien maîtrisés, est très souvent complété par une résine. L'application du liant se fait directement sur l'armature et les couches de grillage qui jouent du coup aussi le rôle de ce que l'on appelle un moule perdu. L'application du liant est pour ce type de construction comme pour presque toutes les autres méthodes, déterminante sur la résistance et la qualité du résultat final. La coque terminée pèse le poids qu'une coque en bois. Les caractéristiques mécaniques du ferro-ciment sont très proches de celles de l'acier, l'élasticité en moins. Ce sont donc des coques plutôt très solides qui ne se déforment pas. Le principal avantage de ce mode de construction est de pouvoir faire des coques en forme, solides et durables sans moule. Le ferro-ciment a mauvaise réputation en France, car, si je résume, on dit que c'était un procédé de construction amateur et approximatif. Pourtant, il encore utilisé à l'échelle industrielle dans l’hémisphère sud.
Heraclitus a été construit aux Etats-Unis en 1975 à Oakland, en Californie, par The Institute of Echotechnics, toujours armateur et porteur des projets du bateau. Ce voilier, immatriculé au Belize (quand j'ai vu ça, Rodolphe, toi qui vis là-bas, j'ai bien pensé à toi! :) a la forme d'une jonque, et lorsque ses voiles sont hissées... Heraclitus est un fier navire, jonque de ferro ciment qui navigue avec un esprit bien particulier.

R.V. Heraclitus en mer
Assez facilement, j'arrive à prendre contact avec l'équipage. Kristin est chef d'expedition, nous nous donnons rendez-vous à bord de sa jonque, lundi. Il fait nuit. La jonque n'est pas collée au ponton, alors à l'aide d'un grand bout monté sur palan, elle rapproche le ponton. Sur l'aussière, une sorte de freezbe. C'est pour empêcher les rats de monter à bord. Bonne astuce. Les pieds sur ce pont rouge, j'entre dans le bateau. Kristin est Allemande, nous parlons anglais. Elle m'invite à bord. Le carré est dépourvu de banquette et de mobilier. Il n'y a rien, c'est superbe. Par terre des tapis et quelques coussins en tissu, les lumières sont tamisées, orangées. premiers ressentis qui me portent au Maroc ou dans ces pays où l'on prend le temps de partager un thé autour d'un plateau familial. Claus, capitaine du bateau, lui aussi Allemand épluche quelques légumes. Il s'arrête vient m'embrasser. Zénitude absolue à bord de cette étrange jonque. Kristin m'entraîne pour une visite complète. Une grande barre à roue est située à l'intérieur, un mur en bois sert de table à carte. C'est magnifique. Le barreur reçoit à l'intérieur des informations d'un veilleur toujours à poste, sur le pont. Nous parlons un long moment dans cette pièce sans pareil. Pas d'ordi, pas de technologie. Il y a des livres bien rangés et des cartes de tous les coins du monde, bien ordonnées dans des tiroirs en bois, sous le haut tabouret de barre. Il y a ici accroché au dessus de la table à carte verticale une représentation de Bouddha, à côté une figurine chrétienne et encore d'autres de différentes religions. Il y a des objets et pourtant un ordre parfait. Pas une poussière, pas un bibelot qui traîne. C'est étrange ce mélange des genres. Un souk ordonné, ce n'est plus la même chose, mais cela apaise, rempli le lieu d'un esprit libre et épuré.

Kristin and Capucine.. "women of the sea" commente Kristin
Quelques bannettes sont entourées de rideaux en tissus d'ailleurs dans le monde. La seule visite du bateau est un voyage autour du monde. Entre la cuisine 'américaine' du carré et la Bibliothèque, il faut passer par une petite pièce. Krisitin me montre un placard: "This is the magic room". Elle ouvre la porte en bois, et une montagne de déguisements brille et sintille. C'est que l'équipage s'amuse parfois, joue des petites pièces de théatre, et parfois aussi de la musique. Saltimbanques voyageurs, cet équipage poursuit une belle mission. Nous poursuivons avec Kristin, je suis fascinée par la Bibliothèque, je me perds dans la lectures des titres des livres.... Il y a en a tant, tous chargés d'histoires et de mélanges de culture. J'aime les livres et je suis vraiment fascinée. Nous parlons encore, a voix presque basse. Le lieu impose calme et respect, rien ne vient froisser la tranquillité reine.
Kristin n'a pas d'âge. Elle me dit qu'elle vit à bord du bateau depuis plus de 20 ans. Claus pareil, voire plus encore. "Un autre a tenté de vivre autre chose après 15 ans de vie à bord d'Heraclitus. Il est revenu au bout d'un an. Heraclitus, c'est un engagement pour la vie" me dit-elle avec un touchant sourire.
Et nous retournons dans le carré, parlons de Tara Tari, et de mon projet de traversée. Claus me pose de nombreuses questions... Et puis sur la carte du monde affichée, Claus me montre un endroit où il y a des îles qui jamais n'ont été marquées sur des cartes. "C'est un secret que je te révèle" me dit-il en me regardant dans les yeux, "il faut que tu ailles un jour voir cet endroit encore caché du monde".

Nous sommes là, assis sur les tapis et parlons de philosophie de vie en mer, de la quête de la simplicité. Ils naviguent en équipage, et je me lance dans une traversée solitaire. Nous partageons. L'échange est riche. Se sentir si vite en accord avec des personnes que l'on ne connaît que depuis quelques minutes, c'est assez fascinant. Cette rencontre hors du temps dure un peu. Et je repars au bateau avec l'une des équipières, Johanna vient d'Alaska, sur le chemin, elle me parle de sa région, des lacs et des pêcheurs, des cabanes en bois et m'invite à venir chez elle, là bas, quand nous serons toutes deux prêtes à mettre pied à terre. Devant Tara Tari, elle me pose des questions. Une interview particulière, pour une radio d'Alaska. Et pour ses dossiers de recherches menées sur le bateau Heraclitus.

une photo de l'équipage en 2010. Chercheurs, témoins d'ailleurs.
Parce qu'Heraclitus est un bateau de recherches. Depuis la mise à l'eau du bateau et depuis donc plus de trente ans, la jonque a parcouru plus de 250 000 milles sur les mers du monde. La mission menée par The Institute of Ecotechnics est simple. Aller à la rencontre des hommes partout dans le monde, afin de prendre connaissance de toutes les habitudes et traditions ancestrales des hommes et de l'eau et de s'en servir pour l'avenir. Prendre note de ce qu'il se fait, de ce qu'il se faisait, et comprendre ainsi comment "avant" les hommes arrivaient à vivre en accord avec la nature.
A bord, l'équipage a toutes les nationalités. Ces chercheurs sont hors norme, à moitié marin, à moitié hippie. voire complètement marins, et complètement hippies aussi. Heraclitus a construit un petit hospice avec une communauté Tibétaine, regroupant différentes cultures du Népal, et permettant des échanges faciles avec des Américains et des Anglais... Mais il y a tant d'histoires et tant à raconter sur la longue, longue épopée d'Heraclitus. Trente ans de mer et de rencontres...

Et aujourd'hui, la mer m'a permis de rencontrer Heraclitus. Une belle rencontre.
Mardi matin. Je me prépare pour le départ, j'arrive sur le ponton, et tout l'équipage est là! Nous parlons du jute, je leur présente Tara Tari, leur parle de Watever et des recherches de Corentin. Il est temps de partir. On se sert dans les bras. Très fort. Kristin me dit qu'ils ont parlé de moi toute la soirée, et qu'il se sont mis d'accord, ils veulent m'aider. Elle me tend un billet. "Quelques euros de la part de l'équipage" me dit-elle en anglais. Je suis très touchée. Kristin est émue. Et Claus aussi. Dernières embrassades. Comme si nous nous connaissions depuis toujours.

Et puis les amarres sont larguées. Ils repartent à bord de leur petite annexe métallique. Le temps de sortir du vieux port à la voile, ils sont tous à bord de leur jonque. Je barre de l'avant du bateau et pointe l'étrave devant eux, pour les saluer. Ils sont tous sur le pont. "Bon voyage!" me lance Johanna d'Alaska.
"Bon voyage!" me lance Johanna
une jonque pas comme les autres

Et Tara Tari quitte Marseille sous l'oeil bien veillant d'Heraclitus.

Départ de Marseille, le mardi 22 novembre 2011

.. un petit bruit de moteur. C'est Claus! il est venu avec sa petite barquette métallique, accompagné d'un jeune de l'équipage. Claus accompagne Tara Tari sur quelques bords, comme pour prolonger cette rencontre. "See you my friend! Take Care!" me lance-t-il en me saluant une dernière fois.

Thanks again dear friends from R.V. Heraclitus.
Et maintenant, cap à l'Ouest à bord de Tara Tari. L'aventure continue!
Capucine


ps: la route d'Heraclitus est à suivre sur le site : http://www.rvheraclitus.org

dimanche 27 novembre 2011

j'avais tout faux - Marseille

Vendredi 18 novembre. "Il y avait des vagues de plus de dix mètres, et le vent soufflait à 70 noeuds. Oh, Bonne Mère! c'était l'enfer, je te le dis moi!" Sur le ponton, trois hommes se racontent leurs aventures martimes. Ils me réveillent avec leurs voix rauques, et me font sourire avec tous leurs superlatifs ponctués de "Oh Bonne Mère". Les yeux encore globuleux après cette très courte nuit, emmitouflée dans mon duvet chilien, je les écoute, les imagine en train de mimer les vagues de dix mètres, les bras déployés. "Des murs gigantesques" ajoute une nouvelle voix, avec ton grimaçant l'exploit réalisé, et l'accent d'ici bien prononcé. Je me marre toute seule. Ici, c'est Marseille. Sans exagérer. Du tout.

La Bonne Mère veille sur Marseille

Marseille est bordée par la Méditerranée à l'Ouest, et est entourée de petites montagnes. Il y a le massif de l'Estaque et le massif de l'Etoile au Nord, le Garlaban à l'Est, le massif de Saint-Cyr et le mont Puget au Sud-Est et le massif de Marseilleveyre au Sud. Marseille s'étend sur plus de 240 km², ce qui en fait la 5è plus grande commune de France, mais avec près de 852 000 habitants intra-muros, Marseille est la deuxième plus grande ville du pays! Et comme Tara Tari a déjà été montrer sa belle coque à Paris, en bon bateau mondain qui se respecte, c'était sympa de passer ici. On appelle Marseille "cité phocéenne", car la ville a été fondée vers 600 avant JC par des marins grecs originaires de Phocée, en Asie Mineure. Son nom était alors 'Massalia'. Aujourd'hui, Marseille est le premier port français et méditerranéen (devant Gênes) et le quatrième port européen. C'est aussi le port de ma première escale.

Procéder par priorités. La première: prendre une douche. ça fait du bien. La deuxième: voir les douanes. Alors après ma douche, les cheveux encore dégoulinants, je profite d'être à la capitainerie pour demander une "port clearance" attestant de l'arrivée en France du bateau (à La Ciotat on m'avait gentiment expliqué que c'était à Marseille qu'il fallait voir ça). Là, les deux hommes rigolent, me charrient à propos du bateau "Mais il flotte, là, votre bateau?" ton rieur, sourire en coin. Ça chambre sec à la capitainerie du vieux port. "Vous voulez voir les papiers?" demande-je avec le petit air sage de celle qui veut bien faire. "Vous êtes sure que vous ne voulez pas plutôt un petit café?" me dit alors l'un quand l'autre tend une chaise. Bon, et bien, nous allons nous poser une minute le temps d'un café. Une bonne petite papote plus tard, et ils nous traversons le port. Les douanes se trouvent sur l'autre rive. Avec Maxime, nous tournons autour d'un bâtiment ancien, très joli. Sur la façade, une indication nous fait penser que nous sommes au bon endroit.


Aucune porte ne semble vouloir s'ouvrir. "Pardon monsieur, je cherche les douanes... " Le petit monsieur aux cheveux blancs rigole "ça fait deux siècles qu'il ont fermé ici!" Il rigole et reprend "Allez venez, je vous dépose au bon endroit!" Et nous voilà dans la vieille espace de ce gentil monsieur qui ressemble à Pernoud. Il n'arrête pas de rire et de parler, mais avec Michel Drucker à fond sur RTL, je ne comprends rien à ce qu'il me dit. Tant pis. Les Douanes. je m'attache les cheveux, ça fera plus soignée. Accueil ni chaleureux ni froid. Un accueil des douanes, quoi. "Sur votre gauche, les portes grises et au fond du couloir". Nous  suivons les indications. Un bateau est dessiné sur une feuille A4 collée sur un des guichets, j'imagine que c'est là. "C'est pourquoi?!" Une petite dame, les cheveux encore frisés des années 80 et les boucles d'oreilles dorées qui vont avec, semble ne pas s'être levée du bon pied. "Bonjour Madame" J'explique le bateau, le parcours et tout et tout, avec l'envie d'être réglo. Elle tient dans ses mains les papiers du bateau qu'elle regarde, dubitative. "Et qu'est ce que vous voulez que je fasse avec ça?! Vous êtes là de passage, vous allez au ponton visiteurs du port et vous repartez! c'est simple non? pourquoi vous venez là?" euh... Bon. Désolée, je ne savais pas, merci. ok. Rien à voir, circuler, d'après les douanes tout est en règle alors nous repartons vers le port. Je retrouve mes deux "potes" de la capitainerie. "Un petit verre de rosé?!" Non merci, je repasse tout à l'heure. Prenant un cahier d'écolier, je décide d'en faire un passeport de Tara Tari, sur lequel les capitaineries estampilleraient la présence du bateau "Il faut la date d'arrivée et un tampon, les administrations aiment bien les tampons". Toujours avec ce même regard malicieux, l'agent retrousse ses manches, prend sa plus belle écriture "Bienvenue à Marseille" il date et appose trois tampons - tous ceux qu'il avait sous la main. Nous rions. Je sens que tout cela va être drôle. Sincèrement gentils, ils me proposent un coup de main pour le bateau. je paie ma place de port et eux m'offrent des rames échouées, qu'ils me dédicacent. "Ne le dites à personne" - d'accord, mais à presque personne alors.


C'est grâce à Cécile, qui m'avait si bien accueillie à La Ciotat, que j'ai rencontré Maguelonne. Lors de notre petit pot de départ à La Ciotat, Maguelonne était venue et m'avait dit "si tu passes par Marseille, viens dîner à la maison, un bon veau à la moutarde t'attend!" Et voilà. Le veau à la moutarde a peut-être aidé à me convaincre de m'arrêter à Marseille.

Maguelonne Turcat Martin-Raget, à Marseille
Marseillaise depuis au moins treize générations, Maguelonne connaît tout de Marseille et m'accueille comme si je faisais partie de sa famille. C'est incroyable, un tel accueil. Maguelonne me permet de rencontrer Bernard Amiel, président de la Société Nautique de Marseille. Il nous invite à nous amarrer au ponton de la "Nautique" comme on dit ici. Et c'est ainsi que Tara Tari se retrouve dans le même bassin que de fabuleux voiliers classiques, des plus beaux de Méditerranée.


Après une bonne nuit de sommeil chez Maguelonne, dans les hauteurs d'Endoume, je passe un moment pour raconter la première nav sur le blog, et nous partons au bateau. Gérald Bibot m'a offert une VHF fixe avec AIS que je récupère au vieux port. Encore merci Gérald! Et puis Maguelonne qui a pour amis de grands journalistes passe quelques coups de fil. En début d'après midi, je me retrouve au bateau, au micro de Laurent Gauriat, pour un sujet sur France Info et France Inter (diffusé le dimanche 20 novembre après midi & à 19h) "ça me change des drames quotidiens, ça fait du bien de belles histoires comme celle de Tara Tari" me confie le journaliste à la fin de notre rencontre.

Au micro de Laurent Gauriat - France Info / France Inter.
Point météo avec Bernard, mon routeur Great Circle. Il y a un BMS jusqu'à mardi. Le vent d'Est souffle fort et la houle du Sud entraîne une mer courte et croisée, bien mauvaise. BMS veut dire Bulletin Météo Spéciale, mais aussi et surtout "Reste à l'abri avec Tara Tari".

Bricolage sur le bateau, et puis petite promenade dans les Calanques - de jour - avec Anaïs et Guillaume, tous deux officiers de marine marchande, et amis de Maxime. C'est assez fascinant cet endroit. Tout est immense, et j'imagine les voiles oranges de Tara Tari passer devant ces superbes Calanques. Si grandes, si sauvages. La nature a du caractère et ça fait du bien de la voir ainsi. Je respire le bon air frais.

Tara Tari est passé devant ces jolis cailloux
Le mot calanque vient du provençal « calanco », « escarpé » et désigne une vallée creusée par une rivière, puis récupérée par la mer. Les Calanques sont au coeur de grands débats politiques dans le coin car elles vont certainement devenir "parc national" l'année prochaine je crois, et d'après les discussions animées entendues à ce sujet, cela changerait beaucoup des choses pour les marseillais habitués aux lieux. Elles seraient le premier parc national périurbain d'Europe, ce n'est pas rien. Afin de réempoissonner les eaux, certaines zones du futur parc seront interdites à la pêche pour servir de nurseries naturelles. C'est la première fois que je viens ici, et c'est peut-être la dernière fois que j'ai la possibilité de me promener ainsi, sans les interdictions des parcs. L'endroit est extrêmement propre, c'est assez rassurant de sentir que chacun se sent concerné par un endroit encore préservé. Pas de déchet ni de tag, les promeneurs sont silencieux, respectueux.

Le mari de Maguelonne, Gille Martin-Raget, est un grand photographe, très connu dans le monde de la voile. Il a photographié avec délice les belles Calanques. Son ouvrage est un coup de coeur et comme je suis toujours accueillie chez Maguelonne et Gilles, je passe une partie de la soirée, plongée dans ces belles photos...
"Calanques si proches, si lointaines" Ed. Cres, photos G. Martin-Raget
Lundi, je ne me sens pas très efficace au bateau. Mais j'ai une raison valable. Maguelonne a pris des rendez vous avec des journalistes, et il y a donc une équipe de France 3 qui vient et avec qui je passe la fin de la matinée à parler des recherches que mène Corentin sur le jute. J'ai embarqué un gros morceau de toile de jute, c'est assez pratique pour illustrer la fabrication de Tara Tari et aussi l'importance d'arriver à trouver un bon maillage, plus serré et plus résistant que celui des sacs de pommes de terre pour développer une fibre technique qui serait utilisable en construction navale au Bangladesh. Et puis il y a aussi un journaliste de "La Provence" qui vient pour un bel article en page "mer", paru samedi 26 novembre. Et c'est aussi aujourd'hui que je découvre dans Voiles & Voilers du mois de décembre, l'article concernant le projet... Toute cette presse ne me met pas forcément à l'aise. C'est un peu crier victoire avant d'avoir réussi à aller jusqu'au bout, alors j'essaie lors des interviews d'insister plus sur ce qu'a fait Corentin et sur ses recherches, sur l'action menée par Watever et quant à mon expédition, j'insiste sur le chantier, l'aide reçue des amis et sur l'esprit de navigation avec lequel je pars, de la "simplicité volontaire" à bord de Tara Tari. Bref, du coup pas trop de pression, il faut avancer par étapes pour que l'ensemble soit cohérent.

Point météo. Une fenêtre s'ouvre demain mardi. L'idée est de ne pas traverser le Golfe du Lion, difficile voire dangereux à cette période de l'année et longer la côte afin de trouver un abri en cas de dégradation surprise. C'est son truc, ça à la Med, les dégradations surprises.

Bricolage terminé, j'ai eu des petites choses à faire et me retrouve à 20h près de Tara Tari avec une journaliste d'Alaska qui me pose des questions pour une radio de là-bas... c'est assez surréaliste mais excellent. Et puis je retrouve Maxime, Anaïs et Guillaume au Shamrock, un pub en face de la Nautique. "Shamrock" veut dire "trèfle", symbole de l'Irlande. Là, Guillaume et Anaïs me font un beau cadeau qu'ils ont fabriqué de leurs mains. Guillaume me fait une démo, et me révèle le nom de cet objet unique: La Boîte à Pompe.

Guillaume & Anaïs m'offrent"la Boîte à Pompe"
La Boîte à Pompe est un objet qui va vite devenir indispensable à bord de Tara Tari. Il s'agit d'une petite pompe pour virer l'eau qui se trouve à l'intérieur du bateau. Guillaume a monté la pompe sur un support en bois bien pensé, dans lequel on peut caler son pied pour pomper de n'importe où. Je ferai une démo en mer, ce sera plus facile à expliquer. Mais c'est top et ça me permettra aussi de me muscler le bras, ce qui me permettra du coup et certainement de démarrer le moteur un de ces jours.

Pleine d'a priori sur Marseille, j'imaginais qu'il fallait impérativement coller un autocollant "Allez l'OM" sur le bateau si je ne voulais pas que l'on raye la coque de Tara Tari, et cela n'a pas été le cas (je n'ai pas collé d'autocollant et la coque n'a pas été rayée) j'imaginais qu'il n'y avait pas de baleines dans le coin et pourtant dans le journal il parlait de ces deux rorquals vus devant le chateau d'If, à l'entrée du vieux port, j'imaginais que les cigales chantaient toute l'année et ce n'était pas le cas... bref, j'avais tout faux. Les Marseillais que j'ai rencontré ont été adorables, accueillants. Ils sont nombreux à s'être arrêtés devant le bateau, à avoir posé de nombreuses questions sur le jute et sur l'histoire du bateau. A le trouver beau sans exagérer alors que pourtant l'exagération fait partie de la réputation du Marseillais. Marseille est une belle ville où l'on ne fait pas que "piquer des scooters" (La Provence a titré son journal du samedi 18 "On est champion du vol de deux roues"). Alors encore Merci Maguelonne, Dominique et Marie, Bernard Amiel de la Société Nautique de Marseille, Guillaume et Anaïs, les gars de la capitainerie....

Ah et puis, avant la douche et les douanes, lors de mon premier réveil à Marseille, j'ai tout de suite remarqué un bateau, juste en face de Tara Tari.
On dirait une jonque, il va falloir que j'aille voir ça de plus près.

Il y a des bateaux qui annoncent de belles rencontres...
Et je suis allée voir ce bateau. Une rencontre improbable... L'aventure a vraiment commencé, et la magie des escales opère. A très bientôt, donc, pour vous raconter 'la rencontre' de Marseille.
Capucine

samedi 19 novembre 2011

C'est parti! La Ciotat - Marseille

Jeudi 17 novembre. La Ciotat. Il est 6h du matin, le réveil sonne et n'a pas tout à fait la même tonalité que les autres jours. Peut-être parce que aujourd'hui, c'est le départ. Le bateau doit être mis à l'eau à 8h et il faudra partir dans la foulée. J'imaginais qu'un matin de départ en mer, l'émotion pouvait prendre le pouvoir au gouvernement de l'Etat d'âme. Mais non. En fait, le matin du départ, je n'ai fait que penser à être efficace et faire les choses méthodiquement pour que tout se passe bien; c'est à dire gérer les clefs de l'appart de Cécile & Rémi qui ne sont pas là, passer à la capitainerie, manger un petit pain au chocolat, ranger tout le "chantier" (pot d'antirouille, kit de strat, pot de peinture, outils, perçeuse...) dans le coffre du camion de Maxime. Tiens, un parapluie dans la poubelle de la zone de carénage, je l'embarque, ça me servira de parasol, parfait. Alors qu'il y a encore quelques bricoles à faire, je m'écarte une petite minute, grimpe sur les blocs de pierre de la digue. Quel tableau. Le soleil se lève au dessus de là où arrivait Corentin. Le ciel est bleu et pur. Et la mer, quelle est belle cette mer aujourd'hui accueillante. Conversation secrète avec la Méditerranée. J'ai le sourire, je respire profondément. Je me sens bien et j'ai hâte d'aller naviguer!

Beau temps belle mer. jeudi 17 novembre 2011, jour du départ
Il est 8h, tout est prêt et ok, je suis à côté du bateau, prête pour la mise à l'eau. MAIS j'oubliais : nous sommes dans le Sud. Et hier, quand la petite dame de la capitainerie m'a dit "attention soyez à l'heure: à 8h précises on met le bateau à l'eau!" avec un "sinon je vais me fâcher très fort" sous entendu que j'ai pourtant bien entendu - et bien, en fait, cela voulait dire "on met le bateau à l'eau dans la matinée - après un petit café ". C'est le sud ici, les cigales chantent tout l'été alors le 17 novembre, forcément on y va tranquilou. Ce matin, il fait super beau et à 10h, le bateau qui se trouve sur la zone de carénage, est donc mis à l'eau deux mètres plus loin.... dans le bassin des Capucins !

Départ du port de La Ciotat
Rigolo. 'Bassin des Capucins', on se demande ce qui viennent faire là, ces capucins, pour avoir un quai et un bassin à leur nom dans le port de la Ciotat!? Un capucin est un petit singe, étrange tout ça. "C'est un signe!" m'explique Corentin à qui je raconte par téléphone l'amusante découverte. Singe ou signe, prédestination ou pas, maintenant il va falloir y aller. La manut' se passe bien, quelques personnes assistent à la mise à l'eau. Je pensais partir le 13, mais en lot de consolation, je largue les amarres à 13h.

Il n'y a plus personne sur le quai et cela me va très bien. je suis contente, tout simplement contente. Pas d'euphorie, pas de stress, je ressens un bonheur profond mais sans émotion démesurée. ça y est c'est parti. Pieds nus sur le bitume je pousse le bateau joyeusement et m'installe près de la barre. Tout semble si naturel, qu'il n'y a pas de question à se poser. Les voiles sont hissées et le bateau prend un peu de vitesse..."A l'aventure, Tara Tari!"
sortie du port, entrée dans l'aventure maritime
 

Bon temps belle mer. Enfin pétole et mer calme. Et quand il y a un filet d'air, c'est dans le nez. Il y a une vingtaine de milles nautiques entre La Ciotat et Marseille, j'espère faire un meilleur temps que lors de mon Concarneau Lorient. L'idée est de passer entre l'île verte et le Bec de l'Aigle et de progresser ensuite le long des calanques, jusqu'à Marseille. Maxime est à bord pour cette première petite étape. Il nous faudra mille ans (façon de parler) pour arriver à nous extirper de la baie de La Ciotat et passer l'île Verte. Et le soleil éclaire désormais la route qui me mènera vers l'Ouest.

Passer entre l'île verte et le Cap de l'Aigle
Quelques virements de bords plus tard. Nous arrivons enfin à l'île verte après 5h de pétole. Je n'ai pas d'instrument, mais il n'y a pas 5 noeuds de vent.

bord vers l'île Verte
L'ïle verte. Il y a en plein des "vertes", au moins 7 îles portent ce nom en France. Une dans l'archipel de Bréhat, une autre au sud de Trégunc en Bretagne mais celle-ci est la seule de Méditerranée. Elle est inhabitée et sa surface est d'environ 13 hectares. Elle mesure 430m de long et 260m de largeur (toujours avoir un mètre dans son sac à main). Cette jolie petite île porte bien son nom car sa végétation dense est une richesse; c'est la seule île boisée du département des Bouches du Rhône. Quand je vois cette île verte.... je pense forcément un peu au Cap Vert. tout cela va être magique!

Les lumières dorées sur la pointe rocailleuse de l'île verte, le passage au pied des falaises du Bec de l'Aigle, et Tara Tari devant les calanques! quel spectacle! On ne va pas vite (du tout) mais tant pis!

pointe ouest de l'île verte

bord vers le Bec de l'Aigle

Le Cap Canaille se dresse alors devant l'étrave de Tara Tari. Ce cap est, après Slieve League en Irlande, l'une des plus hautes falaises maritimes d'Europe et est la plus haute falaise de France, plus haute encore que les falaises d'Etretat. La Grande Tête du Cap Canaille est haute de 399 mètres au-dessus du niveau de la mer. Bien que la lumière de la fin du jour éclairait de manière un peu rouge cette belle falaise, la roche est par nature un peu rougeâtre, car elle est composée de calcaires détritiques.
 Cap Canaille
J'oublie vite la ville, les pots d'échappements, la foule et le bruit. Il n'y a rien ici. Seulement le petit chant de l'eau qui glisse sur la coque, quelques pêcheurs au pied des falaises avec leurs barques que l'on appelle des pointus, et voilà. Il n'y a rien que ça, et c'est immense. L'eau si plate semble bien agitée vers l'avant tribord, je regarde mieux, un grand banc de poissons à la surface, sautille et se tortille. je tourne la tête vers les petites barques des pêcheurs "faites attention les poissons, un peu de discrétion ou vous allez finir dans une assiette! Ils vous cherchent!". J'apprends un peu plus tard que ces petits poissons sont des sardines! Des sardines en liberté! heureuses petites bêtes qui ne naissent pas toutes dans des boites. Et Tara Tari continue son doux départ. Quel décor, je découvre les Calanques.

...
Tout est très calme. Le soleil s'est couché, et nous allons bientôt longer les Calanques avec les dernières lumières du jour. C'est le moment parfait pour fêter le départ! Je me glisse dans le bateau, dans la caisse à outils en bois, il reste une bouteille de cidre du baptême, parfait. Un peu de mimolette et de pain frais, nickel. J'ouvre la bouteille avec un peu d'euphorie car je réalise que ça y est, je pars. Le bouchon saute. Avant tout, je verse un peu d'eau à la mer "parce que c'est elle la plus forte, c'est elle qui décide" dis-je à voix haute, et puis je regarde vers le ciel avec la bouteille, pour demander aux vents d'être un peu cléments avec moi, et vient le tour de Tara Tari, une petite goutte sur le pont et une petite tape amicale tout en prenant à mon tour une gorgée, "c'est parti!" 

cidre breton devant les calanques, rencontre de deux régions
Et la nuit arrive. Il faut s'y préparer. Cirés, bottes, frontales, lampe étanche, inspection du gréement et de tout et c'est bon la nuit, tu peux éteindre la lumière. Nous sommes deux, et décidons de fonctionner par quart de deux heures. Le vent est instable ou plutôt indécis, oscille tant en force qu'en direction. Près, grand largue puis re près et serré cette fois.. un vrai cocktail d'allures! On s'adapte. ça permet de manœuvrer un peu et de régler les voiles, dans ce vent qui passe de 3 à 10 noeuds environ, puis 15 plus tard dans la nuit, grâce à la brise nocturne. 


Il y a 20 milles nautiques entre La Ciotat et Marseille. Je partais sur 10h de mer, mais avec la pétole du départ nous avons finalement mis 15h. Nous avons longé les falaises, et avons laissé l'île Riou à babord (un nom de marin, ça, "Riou") passé le Cap Croisette (bien un truc du Sud, ça, "croisette"!)avant d'entrer dans la rade de Marseille, laissant l'île d'If à babord pour entrer dans le vieux port.

La nuit en mer s'est très bien passée, avec 10 - 15 noeuds, il y a de quoi s'amuser. Malgré la nuit noire, la silouette des Calanques se dessinait grâce à la lumière de la lune et du ciel orangé plus loin, au dessus de Marseille. C'est très impressionnant de voir une côte si sauvage la nuit. Pas une petite loupiotte, rien. Le premier matin du monde. Pas une trace de vie humaine visible. C'est rare. C'est assez grandiose. Je regrettais un peu de passer de nuit devant les Calanques, mais finalement ce passage de nuit est assez fou. Je fais alors le voeu qu'aucun randonneur n'oublie un jour une lampe frontale sur les sentiers, afin qu'en mer, ces falaises restent aussi brutes qu'un bon cidre.

La nuit comme le jour, c'est important de bien observer le décor. Je remarque la lumière orange au dessus de Marseille, les incessants 'va et vient' des avions qui vont et s'en vont de Marseille. cela donne quelques repères. Parfois aussi, cela permet quelques surprises. Alors que je suis de quart, je vérifie sous le vent si tout est bien clair. Tout est clair, pas de bateau. Quelques minutes plus tard, je recommence, vérifie sous le vent. Quand soudain, un feu est là, tout proche! Olala d'où sors-tu voilier-surprise?! Je me concentre, tente de comprendre sa trajectoire, il n'a ni feu vert, ni feu rouge.... C'est bon, j'ai compris. C'est un avion qui fait demi tour, très bas dans le ciel! je souris et reprends mon cap. Cela me fait penser à une anecdote rigolote. C'était il y a deux ans je crois, j'étais en mer avec Philippe Chapel et Jacques Caraës sur le voilier de direction de course de la Solitaire du Figaro, et nous allions de Dingle (Irlande) à Dieppe. J'étais seule sur le pont pour mon quart, et je me souviens avoir bondi, appellant Chacha (Philippe) " Nous sommes en route de collision directe avec un bateau!!!" Chacha a regardé, rigolé de bon coeur en me disant "bon je repars dormir, fais gaffe il y a plein d'autres bateaux dans le ciel!". Selon mes observations nous allions entrer en collision avec une étoile (!). Chacha était redescendu dans sa bannette, mais avant, il avait pris la VHF pour raconter ma crainte sur le canal de course, il n'arrivait plus à arrêter de rire. L'entendre m'a fait bien rigoler aussi, surtout quand en retour, certains figaristes avouaient aussi se bagarrer avec cette étoile d'août qui brille bas sur l'horizon et très fort, et que l'on prend facilement pour un feu de mât. Enfin voilà, quelques souvenirs plus tard, je passe le Cap Croisette.

la lune, que je n'ai jamais pris pour un feu de mât

Le vent est plus soutenu. Tara Tari file vite vers l'île d'If. La côte ressemble à un immense tapis de braise. C'est la première fois que j'arrive à Marseille par la mer... le chateau d'If et les falaises, c'est absolument superbe. Nous approchons de l'entrée du port, je réveille Maxime et lui confie la barre. Je vais joindre la capitainerie du vieux port, annoncer notre arrivée. Pauvre gardien que je vais réveiller à 4h du matin. Assez vite, un homme arrive en zodiac. Gentil comme tout, il nous escorte, et nous permet de passer la nuit devant la capitainerie du vieux port, où nous nous amarrons.

Première escale. Nous rangeons le bateau, ficelons les voiles, et au dodo!
Bonne nuit Tara Tari!

Capucine

mardi 15 novembre 2011

Passage de témoin

Dimanche 13 novembre. C'est aujourd'hui le grand jour et pourtant je sais, je n'ai finalement pas largué les amarres aujourd'hui. Mais ce n'est pas très grave. L'important est ailleurs. Tara Tari va vivre, va naviguer et continuer à insuffler quelque chose de fort. Maintenant, nous en avons la certitude.

"Sérieux?! Tu pars le 13 novembre ?!" la question semble unanime.
C'est assez sérieux oui.
Le 12 octobre, Corentin arrivait du Bangladesh pour assister à la sortie de chantier de Tara Tari. Il avait le sourire. Moi aussi. Le 15 octobre nous avons mis le bateau à l'eau, et un peu navigué. Tout s'est très bien passé. Il fallait fixer une date pour le départ. "J'étais parti le 13 janvier.. pars le 13, toi aussi!" me suggère alors Corentin. Et c'est grâce à ce savant calcul que nous annonçons la date de mon départ. Pendant l'hiver, j'avais un peu regardé les Pilots Charts, le calendrier correspond bien. "Je repars de là où tu es arrivé, comme ça Tara Tari continue sa longue route". Tout simplement.

 Chantier terminé le 12 octobre 2011 - FR Nautisme. ©BleuSafran


"Mais tu es certaine, Capucine de vouloir partir si vite? " Nouvelle remarque collective.
C'est assez certain oui. Pourquoi attendre? Tout s'est passé assez vite, mais j'ai travaillé dur et j'ai reçu l'aide précieuse d'amis dans toute ma préparation. Il y a du travail à faire pour que le bateau soit prêt, mais rien d'insurmontable.
"Es-tu vraiment prête?" s'inquiète-t-on encore un mois plus tard.
Peut-être. peut-être pas. Est-on jamais prêt à vivre quelque chose d'inconnu? Je ne pars pas à l'aveugle, je suis entourée, j'irai doucement (pas le choix en même temps ;) , avec prudence. Je ne cherche pas l'exploit démesuré, et j'espère avoir la lucidité de m'arrêter le jour où je ne le sens plus. Mais là, dans l'instant, je me sens prête. Prête à tenter. Les délais sont respectés, nous sommes à La Ciotat un mois seulement après la sortie du chantier. Le départ est décalé de quatre jours mais Tara Tari est prêt. Pas envie d'attendre, et je n'ai pas trouvé de bonnes raisons pour ne pas tenter.

Corentin est venu à La Ciotat pour mon départ. Ce moment là, nous l'avons imaginé plusieurs fois. Je suis sur le bateau, Corentin largue les amarres, et nous sommes émus etc. Ce scénario prévisible, nous l'avions un peu vécu lors du baptême du bateau, devant la caméra de Pierre Marcel, et vécu encore de manière plus réelle lors de mon départ de Concarneau. Sorte de répét' gé' avant le jour J. L'émotion était là comme prévu. Mais le jour J venu, dans la réalité réelle du départ, tout se passe autrement. Et c'est tellement mieux comme ça.

Le départ décalé, nous improvisons un petit goûter de départ. Deux planches posées sur deux bidons d'eau, jus de fruits, quelques biscuits et fruits présentés sur des assiettes en bambou. Histoire de marquer le coup. Quelques personnes viennent. Marc Van Peteghem est là pour ce moment important. Il regarde le bateau et une strat que nous venons de faire pour fixer le vérin du pilote, il m'explique ce qui ne va pas, et nous améliorons aussitôt le petit support (fait avec un morceau du tube de mes béquilles). Voilà le tableau. Tout est simple et amical. Un verre de jus de fruit à la main, une spatule dans l'autre. Bricolage, papotage. Bon esprit. Avant de partir, Marc me demande de m'accrocher tout le temps. Je lui en fais la promesse, comme je l'ai promis à Corentin.

Le train de Corentin part dans la soirée. Nous partons en avance, et improvisons dans la gare vide, une table avec un panneau solaire qui retourne au Bangladesh. A l'encre bleue, Corentin rédige quelques lignes, attestant qu'il me confie son bateau. Un document qui se veut un peu officiel, et que je pourrais montrer aux autorités des différents pays dans lesquels je ferai escale. On ne sait pas trop si cela servira, mais nous anticipons comme nous le pouvons. Griffonner une feuille blanche n'a rien de dingue mais curieusement, l'instant est solennel.


Nous sommes seuls dans cette petite gare froide, à la lumière d'un néon blanc, entourés de bornes sncf. Le papier est signé. Nous nous serrons la main. Poignée de main franche, honnête, et le regard qui va avec. Il n'y a rien de mou là dedans, c'est du solide. Nous sourions. Cet accord aurait pu être signé à l'ONU, vu notre sérieux. Nous baissons les yeux silencieusement vers cette feuille devenue précieux document. Il faut croire que nous sommes tous les deux sensibles aux symboles. Quelques rires un peu nerveux, nous filons vers le camion.

Il fait nuit. Corentin me dit qu'il y a encore quelque chose que nous devons faire. Il farfouille dans son sac rouge vagabond, en ressort un objet. Je ne vois pas très bien ce que c'est, mais Corentin a un grand sourire. "Tiens, c'est pour toi! Tu dois l'avoir toujours avec toi! pour marquer le passage de Tara Tari là où tu iras!" Corentin parle d'une voix heureuse. Et dans mes mains, il me confie le tampon Tara Tari. C'est encore plus fort que le bout de papier. C'est vrai, et puis un document tamponné a toujours plus de valeur que s'il ne l'était pas. Je range précieusement le petit objet qui signifie tant pour nous. Nous parlons encore. joyeusement.
Quelle heure est-il? Le train! vite!


Cérémonie de remise du tampon. le 13 novembre 2011 à la gare de La Ciotat.
Têtes en l'air. Seuls sur le quai, nous ne pouvons que constater que malgré nos 3/4h d'avance, nous venons de laisser partir le train. Nous rions. "On est nuls!" déplore-t-on d'une seule voix. Tant pis. Ce n'est pas grave, voire plutôt drôle. "je t'emmène à Marseille, là tu auras ton train vers Paris!... et rassure toi, cette fois-ci, je fais taxi avec le camion, pas avec le bateau!" Et nous voilà partis sur la route! Finalement, c'est bien aussi de ne pas se quitter dans la précipitation.

Pas fastoche de trouver le chemin vers la (bonne) gare. Ces derniers moments ressemblent à un jeu de pistes, nous rions facilement et arrivons enfin. La gare. Horaire parfait. Voilà, voilà. Difficile maintenant d'échapper au redouté au revoir.

Nous sommes là, sur le quai de la gare dans le brouhaha froid de l'endroit qui grouille. - rien à voir avec la carte postale du Sud: il n'y a ni cigale, ni huile d'olive et Marcel Pagnol ne composte pas son billet de tgv. Aussi authentique et chaleureux qu'un pot d'herbes de Provence dans un supermarché parisien. Un peu dans notre bulle orange de Tara Tari, nous sourions encore "On avait imaginé le départ du quai... en oubliant de préciser si il s'agissait d'un quai de gare ou de port !". Rire pour ne pas laisser gagner l'émotion. L'humour est un bon remède.
La foule, le bruit, le froid, le béton et les trains... Corentin se veut rassurant :"la prochaine fois que nous nous verrons, ce sera sur une plage de sable blanc" Nous nous donnons rendez-vous aux Antilles, où il viendra m'accueillir.


La barre, franche, de Tara Tari.    ©François Landrot
Alors non, je ne suis pas partie le 13 novembre, mais ce jour était important. Avec Corentin, nous avons officialisé cette passation. Il m'accorde sa confiance pour mener Tara Tari vers de nouveaux horizons. C'était symbolique, c'était entre nous, et cela restera un moment important. Je vais tenter de continuer à faire vivre l'esprit Tara Tari. Corentin a eu une idée, a lancé quelque chose de fort que je vais essayer de poursuivre. La transmission, la continuité permet de faire vivre de belles idées. Mais la responsabilité est grande et je n'imagine pas à quel point cela doit être étrange pour Corentin de voir son voilier partir sans lui. Je lui suis infiniment reconnaissante de m'accorder une telle confiance.

Passage de témoin pour les témoins de passage que nous sommes sur notre belle planète. L'aventure continue! Longue vie à toi, Tara Tari!

Sereine, je peux désormais larguer les amarres. Je suis prête et peut-être déjà un peu partie.

Le coup de vent passé, nous quitterons La Ciotat le jeudi 17 novembre, dans la matinée, en direction de Marseille pour une première navigation. Chapitre d'introduction de cette belle histoire de mer que je pars vivre avec Tara Tari.
Capucine

La Ciotat, accueil de fadas

Vendredi 11 novembre. En partant du principe que j'oublie forcément quelque chose, la question est qu'est ce que j'oublie de très très important? Un dernier coup d'oeil de contrôle dans les différentes pièces. Partie de cache cache perdue d'avance avec les objets que je regretterai d'avoir oubliés d'ici quelques heures. C'est le jeu. L'électricité est coupée, le frigo vidé, la poubelle descendue... A bientôt jolie rade de Lorient! Un tour, deux tours. La porte de la maison est fermée, j'ouvre celle de la voiture. Il est temps de partir. Mes voisins sont là pour me dire au revoir, m'offrent des pots confitures maison que je serai ravie de savourer en mer, et puis encore un signe de la main par la fenêtre "au revoir!"
Je roule, passe d'abord devant Kernevel. Hier soir, pour ma dernière soirée ici, j'étais au Tour du Monde avec quelques copains. C'était simple et juste ce qu'il fallait. Ronan Deshayes, Remi Beauvais, Antoine Debled, Thomas Ruyant, Anne-Laure Bertin, Sarah Philippe... on a passé un moment bien sympa, trinqué à l'aventure.
Ce matin, je passe chez Antoine Debled, qui me prête sa BLU flambant neuve. "ce sera ton seul lien avec la terre, ça me fait plaisir" me dit-il en souriant, avant de m'approuver l'aventure par un"ton projet est super" sincère et débordant d'encouragements. Cette petite radio longues ondes permet de recevoir RFI en pleine mer! Bulletins météo, un peu de musique aussi de temps en temps; un précieux objet pour un marin. Merci Antoine!
Et je file vers le chantier FR Nautisme, dire au revoir à François, Olivier, Stéphane et les autres. C'est assez émouvant. On se sert dans les bras "bah voilà, nous y sommes" "Prenez soin de vous". Gilbert Dréan est là lui aussi. L'émotion s'est invitée dans le chantier, je ne veux pas m'attarder. Avec Maxime, nous montons dans le camion, et quittons Lorient. Il est 18h. Maxime Dreno va m'aider dans la préparation du bateau à la Ciotat, et m'accompagner pour le début. Nous nous relayons toute la nuit au volant, et traversons ainsi la France. Le soleil se lève et nous sommes dans les hauteurs de La Ciotat. Au volant, je ne peux m'empêcher de m'émerveiller devant ce spectacle. Les calanques se jettent dans la mer qui se réveille, c'est superbe.

La Ciotat est une petite ville de la région Provence Alpes Côte d'Azur. Située au fond d'une baie qui a une forme de croissant, cette petite ville est adossée au Bec de l'Aigle et au Cap Canaille, point culminant de son territoire, et fait face à la mer. Son nom vient du provençal "la ciutat" qui signifie la cité. Il y a 34 000 habitants que l'on appelle les Ciotadens et Ciotadennes. J'aime beaucoup le charme de cette ville, car petite et préservée de grosses constructions moches. C'est ici que se trouve l'Eden, le plus vieux cinéma encore existant (du monde entier), et c'est aussi ici qu'à été inventé la pétanque! Il y a une plaque qui explique tout ça sur le terrain de la "Boule étoilée" (encore des histoires d'étoiles) où a été inventé le plus populaire jeu provençal.

Nous arrivons au vieux port, dans l'intimité du jour qui se lève. Les commerçants ouvrent les rideaux métalliques, et nous nous installons à la terrasse d'un café. Le voyage s'est bien passé, mais nous sommes fatigués. Ce petit café près sur le port est un agréable réconfort après toute cette route. Nous ne sommes pas très bavards, contemplons la journée qui démarre avec un accent du sud.

le vieux port de La Ciotat
Je pense à Tara Tari, j'ai hâte de le retrouver. Nous remontons dans le camion, et allons un peu plus loin, vers le port de plaisance... Assez vite, je repère ce petit voilier. Quel plaisir de le retrouver. Tara Tari est à sec, sur la zone de carénage, à quelques mètres seulement de l'eau.

si proche du départ !

Cécile Poujol nous accueille chez elle. Elle vit sur le vieux port. Une petite ruelle belle comme dans un film de cinéma, Remi et Cécile nous ouvrent les portes de leur maison, jusqu'au départ et m'aident énormément dans ces quelques jours qui précédent mon départ en mer. Cécile s'était déjà occupée de Tara Tari à son arrivée de Bretagne et elle continue avec la même gentillesse, sensible au projet et à tout ce qu'il signifie. Nouvelle belle amitié.. encore un coup de Tara Tari!

Cécile Poujol, navigatrice au grand coeur
Cécile navigue en Mini 6.50 et en Class40, la course au large c'est son truc, et la transmission aussi. Quand elle n'est pas en course, elle partage sa passion en emmenant naviguer passionnés et autres rêveurs, apprend aux autres. Cécile a rejoint les équipes des Sauveteurs en Mer de la SNSM de la Ciotat, qu'elle aide depuis maintenant deux ans quand elle n'est pas en course.
Cécile a parlé de mon projet à certains de ses amis. Parmi eux, Gérald Bibot, navigateur qui a monté Great Circle, société de routage météo, avec Christian Dumard. Gérald est touché par le projet, souhaite me parler. Un coup de fil vers la Belgique, Gérald me propose de prendre en charge mon routage météo sur l'ensemble de mon périple! Quelle générosité.... en raccrochant, je regarde Cécile, qui prépare un bon repas en souriant "il est sympa, n'est-ce pas ?". Je souris, touchée par ce nouvel élan de solidarité. Dans mon cahier j'ai noté ses recommandations quant à notre fonctionnement de points météo.

Avec Maxime, nous retrouvons Tara Tari et bricolons encore. Corentin vient d'arriver en train et nous retrouve sur la zone de carénage, se met aussi à la bricole. Il y a encore un peu de boulot : installer le pilote Nke, le Mer-Veille, les panneaux solaires, repeindre le safran et strater les gueuses de plomb dans le fond du bateau. Nous avançons bien, et sereinement.


Les fichiers météo annoncent un petit coup de vent. Je prends donc la décision de ne pas partir dimanche. Les quelques jours à La Ciotat nous permettrons aussi de finir le bricolage dans de bonnes conditions, et de charger l'avitaillement sans précipitation.

"Ce bateau, je l'ai déjà vu par ici; vous arrivez d'où comme ça ?" me demande un badaud à l'accent chantant.
- "C'est possible monsieur, en août 2010, Corentin arrivait, ici, d'un long périple, avec son bateau "
- "Je me souviens bien. Et vous vous faites quoi là, vous repartez?"
- "oui... pour tenter de traverser l'Atlantique"
- "Vous? une petite femme? "
- "Oui monsieur, ça se tente, non ? "
- "Vous êtes complètement fadas! mais vous avez certainement raison!" lance-t-il en s'éloignant du bateau, "Petite fada! je te le dis!" répète-t-il encore.

Merci La Ciotat et Cécile, pour cet accueil qui sent si bon le romarin
Capucine