mercredi 30 novembre 2011

Caresser le Lion. Marseille - Barcelone

Mardi 22 novembre. Belle escale, beau départ. Jusqu'au dernier moment Marseille aura fait les choses en grand et en beau. Mais j'avoue, je suis contente de repartir en mer. Les 15h de nav entre La Ciotat et Marseille ont eu un goût de trop peu, de trop court qui rend ce nouveau départ grisant. La météo dicte mes escales et il m'a fallu attendre quatre jours ici. Gérald et Bernard, mes routeurs, sont ok, la fenêtre est bonne et le départ possible. Sur l'eau, 15 - 20 noeuds de vent de secteur Nord Nord Est. Parfait. Tara Tari s'éloigne, file fièrement laissant derrière lui, la ville grouillante, les cigales qui ne chantent pas l'hiver, l'huile d'olive, l'OM, le romarin et l'archipel du Frioul.

départ de Marseille le mardi 22 novembre 2011
Cap à l'Ouest. A l'Ouest, oui, et non pas au Sud-Ouest. Bien que la fenêtre semble correcte, les dégradations surprises sont une réalité trop réelle et représentent un risque trop risqué. Longer la côte et contourner le Golfe du Lion; ce n'est pas la route la plus courte mais certainement le chemin le plus prudent pour arriver jusqu'à Barcelone. Et puisqu'il s'agit de partir en sécurité, pour ce passage délicat, nous serons deux à bord; Maxime Dreno m'accompagnera jusqu'à la ville catalane.

Le Golfe du Lion. Rien qu'au nom, on comprend que l'on n'est pas là pour rigoler. La comparaison avec l'animal ne date pas d'hier. A l'époque où l'on parlait latin on l'appelait déjà Mare Leonis. Cette comparaison est due au fait que cette partie de la mer est aussi dangereuse qu'un lion, car elle connaît des vents violents et soudains qui menacent les bateaux. Je n'invente rien, c'est ce que l'on peut lire dans le dictionnaire français de noms de lieux de Deroy et Mulon ou encore dans l'Encyclopédie française de Diderot et Alembert. C'est dire!
Tout le monde m'a mis en garde sur cette partie de mer "Ne cherche pas à le traverser même si tu penses que c'est bon". N'ayant jamais dompté de fauves, je ne vais pas commencer maintenant. Voici la route prévue et parcourue à bord de Tara Tari :

de Marseille à Bacelone, attention au Golfe du Lion
La tempête des derniers jours a soulevé la mer. Poussé par la grosse houle venue du Sud, Tara Tari ne mérite pas les incessantes petites claques des vagues du Nord-Est et de surface qu'il se prend dans la coque. C'est pénible. On aurait dû lui dire, à la Med, que le jeu c'est "mots croisés", et non pas "mer croisée". Ce phénomène connu, n'est pas très intéressant à vivre. La houle pousse dans un sens mais la mer est, en surface, recouverte de petites vagues qui vont, elles, dans le sens opposé. Concept artistique. Mais là, bord d'un petit voilier de pêche comme Tara Tari, je n'ai pas envie de jouer les artistes. Chevauchée maritime, j'espère que la bateau ne souffre pas trop. Chère Méditerranée, s'il te plaît, cesse ta croisade.

L'eau est plus chaude que la terre, alors à l'heure où les terriens dorment, une brise nocturne s'installe. Une autre habitude du coin, je prends note de ces phénomènes, bons repères pour les jours de mer à venir. La brise, en digne gardienne de nuit, a le mérite de nous faire parcourir des milles sans trop de difficulté. Nous fonctionnons pas quart de deux heures. Il est 3h du matin quand je viens relayer Maxime, le bateau est un peu trop sur la tranche à mon goût et je prends un ris dans la grand voile. Prendre un ris, c'est à dire réduire un peu la toile, permet de gagner un peu en stabilité sans pour autant perdre en vitesse. Tout va bien à bord. La Camargue est bien sombre, sans pollution lumineuse dans cette nuit noire. L'obscurité est un bon moyen de jauger la présence humaine sur ces morceaux de nature sauvage. La lune se lève timidement, montre un petit croissant tout fin vers 4h du matin. 4h du matin, déjà. La nuit se passe bien, se passe vite. Le vent soutenu a porté Tara Tari vers le 270° à bonne allure.. au petit matin, nous avons déjà parcouru près de 70 milles! Excellent! Bravo petit bateau!
Le soleil levé commence à me réchauffer, le ris libéré, Tara Tari avance doucement et ce matin, la barre dans une main, je tourne, de l'autre, les pages d'un bon petit livre. Et je savoure ce temps en mer.


Nous sommes en Med, et comme la légende n'en est pas une, le vent passe du tout au rien. Il est 9h du matin et le vent tombe. Mais tombe vraiment. Genre même pas un petit soupir de rien du tout. La mer s'est endormie. Lisse, elle s'efface au profit du grand ciel bleu qui se reflète en surface. Jeunesse de la journée, pas une ride sur l'eau. Tara Tari est là, se tient sagement sur ses dérives et ne bouge plus. A trois milles de Sète, c'est la pause. Les heures passent, pas la pétole.

La pétole. Autre concept artistique maritime. La pétole, c'est le mot que l'on donne à l'absence totale de vent... Et l'absence de vent, à bord d'un bateau à voile, c'est assez éprouvant. Les voiles sont lasses. Le bateau tourne en rond, au gré d'on ne sait quoi. Parfois il vaut mieux affaler, attendre que ça passe. Ne pas relever que l'étrave pointe vers la direction opposée. Parfois aussi, certains allument le moteur pour se dépatouiller de cette glue naturelle. Le moteur. Sujet encore un peu tabou à bord. (je n'arrive toujours pas à le démarrer..) Aux grands maux, grands moyens: Et si je sortais les rames offertes par les gars du port de Marseille?! Allez, j'essaie.
Maxime se réveille d'une sieste, rigole, prend l'autre rame et aussi le GPS portable, pour voir si notre vitesse augmente. Yes! ça marche. 1 noeud indique le GPS complaisant, l'étrave vers l'Ouest, nous sommes à fond. En tout cas nous l'étions, au début.
panne de vent au large de Sète
12h. Sans rire. 12h de pétole à ne pas avancer. Test de patience. Englués devant Sète, nous chantons pour nous distraire et rythmer les coups de pagaies. Quelques chansons de Georges Brassens qui est enterré à Sète, notre manière à nous de lui rendre hommage. Enfin j'espère qu'il l'aura pris comme ça, parce que les chansons de Brassens sont dures à chanter. Mais ce qu'il y a de bien, au large de tout, c'est que tu as le droit de chanter faux sans que cela ne gêne qui que ce soit. Soupir. Nous rions, car là encore l'humour est un bon remède. La nuit tombe et il n'y a toujours pas de vent. Je commence à en avoir plein les bras, moi, de ramer. Sous ses airs de kayak, Tara Tari n'en est pas un, et n'avance pas super vite.

La nuit arrive et normalement, si tout est logique, elle devrait avoir le vent pour compagnon de virée nocturne. Mais la lumière est éteinte et toujours pas de vent. Tour d'horizon. Quelle étrange ambiance. Le ciel, marron foncé, est au loin, tout noir. L'eau est toujours aussi lisse. Il n'y a pas un bruit, et une petite brume fait de ce décor, le cadre parfait d'un tournage de film de pirates. Il se passe quelque chose. Quelque chose de menaçant. Rien qui ne m'inspire l'envie de chanter encore. Même pas peur mais bon, le calme est trop calme. Je décide d'envoyer un petit message à Gérald lui expliquant la situation. Gérald me répond aussitôt... "le vent va se lever. Force 7". Ok, merci de l'info, "je file me mettre à l'abri à Sète alors". Le vent est revenu, et nous enchainons les virements pour entrer au port. Mais un nouveau petit message de Gérald arrive "si tu es vraiment devant Sète alors c'est bon, ça bastonne un peu plus au sud, tu devrais pouvoir passer". Je réfléchis, lis le message à Maxime. "C'est trop bête de s'arrêter à Sète, je suis d'avis de continuer, en restant près de la côte, on pourra toujours aller s'abriter plus loin, au Cap d'Agde ou à Valras Plage" Maxime est ok. "Alors on continue!" je suis ravie et préviens aussitôt Gérald. Et c'est ainsi que nous poursuivons notre route. Le vent est fort, la mer courte et croisée mais la navigation est cependant tout à fait praticable. Un ris dans la GV et Tara Tari prend sa revanche sur la journée passée à l'arrêt.

Nuit et jour, on file au portant jusqu'au moment où il a fallu mettre le clignotant à gauche, vers le Sud, car à force d'aller vers l'Ouest, Tara Tari est arrivé aux pieds des Pyrénées. C'est super de voir ainsi, les montagnes enneigées.
dessert paradoxal au pied des Pyrénées
10-15 noeuds prévus pour les trois prochains jours, et au portant: les conditions rêvées pour passer le redouté Cap Creus. Gérald me confirme que c'est ok pour continuer vers Barcelone. youpi!

Le Cap Creus est le premier passage un peu chaud de mon périple. Il s'agit du point le plus à l'Est de la péninsule ibérique. Promontoire abrupt et rocheux de 672 m d'altitude, le Cap Creus a inspiré le peintre Salvador Dali de l'un de ses tableaux, « Le Spectre du sex-appeal » (1934), mais n'inspire en revanche toujours pas les marins, qui redoutent les grosses vagues et le vent fort qui caractérisent le passage du dit Cap. "Creus" signifie Croix en Catalan, ça a peut-être un rapport.


Nous passons Creus de nuit, alors je n'aurais vu de lui qu'une silhouette de roches et le feu de son phare qui se trouve à plus de 87 m d'altitude, et dont la lumière peut être perçue à une distance de 34 milles. Par chance, les conditions sont bonnes, et nous passons sans difficulté ce passage clé. Quelques empannages et hop, le cap est passé. Tara Tari glisse désormais au portant le long des côtes espagnoles. Le soleil se lève, la Costa Brava est superbe. Le bonheur.

Tara Tari arrive en Espagne
L'Espagne. Il est temps de penser au "pavillon de courtoisie" qu'il faut hisser à tribord. Il s'agit du pavillon des eaux territoriales dans lequel se trouve le bateau, c'est une règle obligatoire en mer et ça sent donc l'atelier couture à bord de Tara Tari. Dans le petit sac en coton plein de pavillons, je prends le pavillon Roméo qui devrait faire l'affaire.

Le pavillon "R" Roméo signifie, seul, "Reçu" ou encore "j'ai reçu votre dernier message"


un peu de couture
et voilà!
Perfecto tout ça! Et il n'y aura qu'à découdre pour retrouver Roméo. Rien ne se perd, rien ne se créé tout se transforme, disait notre ami Antoine de Lavoisier. C'est valable aussi pour les pavillons.

 Après 3 jours de mer, il ne reste plus que quelques milles pour arriver à Barcelona. C'est une belle étape de faite. Comme quoi, il ne faut pas tenter l'impossible. Ne pas provoquer le Lion, le caresser, dans le sens du poil et passer ainsi sans péril. En l'abordant ainsi, le Golfe du Lion aura eu des airs de Lionceau. De ceux qui vous chante "Akunamatata... tu vivras ta vie, sans aucun souci...."

Encore 2 jours le long de la Catalogne, pour une ETA samedi. Tout va bien à bord, l'ambiance est au top et Tara Tari n'a pas un petit bobo à soigner!

A très vite pour la suite du récit!
Capucine

1 commentaire:

  1. J'ai cinq fois le cap Creus et à chaque fois c'était par un temps splendide. la dernière fois c'était comme toi de nuit et j'avais pris 10 milles de marge au cas ou... J'ai regretter car de jour et pas temps calme l'endroit est magnifique.

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