lundi 14 novembre 2011

Départ de Bretagne

Mercredi 9 novembre. Et bien voilà, c'est le départ. Enfin, c'est le départ vers le départ. A bientôt Lorient et la Bretagne! Nous allons rouler vers le Sud, vers le port de départ du bateau qui n'est autre que le port d'arrivée de la première expédition de Tara Tari. - il y a de quoi s'embrouiller, mais je viens de relire la phrase, c'est bien ça.

Mardi après-midi. Tara Tari est à l'eau pour encore quelques minutes. Le film du départ va commencer. Le soleil, brillant ingénieur lumière, a choisi un ton doré et assez chaleureux pour la scène du départ du ponton. Je suis seule et prépare le bateau. Quelques pas en arrière, pour un meilleur angle de prise de vue. Le vent est doux, tout est parfait et je regarde le drapeau du Bangladesh flotter en toute sérénité devant la Cité de la Voile.  
Le drapeau du Bangladesh est vert frappé d'un rond rouge. Le rouge symbolise le sang des Bengalis tués depuis 1947 lors des affrontements avec le Pakistan. Le vert symbolise la vitalité, la jeunesse et les terres agricoles. Il a été dessiné par le peintre Quamrul Hasan qui s'est inspiré, pour le dessin et pour les couleurs, d'un poème de Abanîndranâth Tagore qui s'appelle Action de grâce. « Ô Soleil, lève toi sur les cœurs qui saignent » et « Qui laissent sur l'herbe fragile la marque de leurs pieds teintés de sang » en sont les vers représentatifs. La poésie, la guerre et l'espoir... C'est l'un des rares drapeau au monde qui illustre un poème. Le drapeau au soleil rouge a été adopté officiellement par le Bangladesh le 17 janvier 1972.

La capitainerie de la Base des Sous Marins me remorque en zod vers la grue de manutention, on discute un peu de l'aventure "c'est complètement fou, mais c'est génial d'oser tenter, bon vent!" me dit-il en repartant. Gildas Gallic, d'AOS (An Oriant Sail), va m'aider pour le grutage du bateau. La lumière est superbe, et la manutention s'effectue sereinement. Nous enlevons le mât, et puis nous sortons le bateau de l'eau en toute tranquillité. Avec Gildas, on se connaît bien, et tout en effectuant la manut', nous parlons des minis, de la performance des copains sur la Mini Transat. Le bateau est bien calé sur le ber et nous nous l'emmenons près du hangar. Alors que je range les sangles du grutage, je vois Tara Tari devant le maxi trimaran Groupama 3. La scène est amusante. Rencontre improbable entre deux univers de mer. Ils ont certainement plein de choses à se dire, à apprendre l'un de l'autre. Le gros trimaran a fait le tour du monde mais ne connaît pas le Bangladesh ni les mers sur lesquelles a navigué Tara Tari. Ils parlent de leurs voyages, de bons plans d'escales (G3 n'a pas pris le temps de s'arrêter, il a fait le tour pour le boulot, vite fait) et j'imagine qu'ils parlent aussi un peu chiffons :
Groupama 3: "Sympa tes vêtements! C'est bien le jute ?"
Tara Tari : "Carrément! pourquoi le carbone, tu n'en n'es pas content?"
G3 - "Bah c'est la mode, mais je ne sais pas si je suis allergique, mais la rumeur dit que ce n'est pas très propre. c'est résistant mais c'est aussi un peu fragile et puis le noir, c'est d'un triste..."
TT- "je te comprends, moi la mode, je la regarde de loin. Au Bangladesh, après le bois, ils se mettent au verre, mais je préfère quelque chose de plus 'etnic chic' et le jute c'est pas mal du tout pour ça. bon ok, ça gratte un peu, mais il y a des couturiers qui mettent en place de nouvelles machines à coudre pour faire un maillage un peu différent, qui grattera moins. Je t'envoie un échantillon si tu veux, de la collec' printemps-été 2012, ce sera au point! C'est pas cher, et pour le coup, le bio c'est aussi à la mode!"
G3 - "je rêverai de faire le tour du monde avec tes fringues!"

rencontre entre deux cultures
Pour la prochaine scène, quelques acteurs qui ont eu un rôle fondamental depuis le début de l'épisode breton font une dernière apparition. Olivier, Jeremy et Karine viennent de finir leur journée de boulot au chantier FR Nautisme et arrivent pour me donner encore un coup de main. Au programme du soir, découper une petite fenêtre dans la cloison intérieure du caisson étanche et ainsi accéder au tube d'étambot, et puis il faut aussi poncer la coque, car demain, il faudra encore poser la peinture antifouling. La nuit tombe vite, et nous bossons à la lumière d'un projecteur et de nos frontales.
il n'y a pas d'heure pour prendre soin d'un bateau
L'ambiance est bonne malgré la nuit et le froid. Stéphane et Sylvie, mes voisins de chantier, arrivent avec du saucisson, du fromage et du vin rouge. On se pose un peu, on trinque, on rit. Instants de belle complicité de chantier, le départ approche et chacun s'est attaché à Tara Tari. Nous nous remémorons certains souvenirs. Tant de choses partagées depuis l'été. Malgré la fatigue et l'heure tardive, nous allons boire un verre à La Bulle, dans le centre de Lorient.

Mercredi matin, c'est un peu la panique. Le transporteur du bateau veut quitter Lorient dans l'après midi! ça bouscule un peu le programme, mais pas de panique, on s'adapte à tout. J'identifie les priorités et le reste sera fait dans le sud. Il faut peindre et souder une pièce sur le safran qui permettra d'enlever le jeu existant. Maxime Dreno un ami, et Sylvie Dessert viennent m'aider à poser la peinture antifouiling. L'idée était de trouver une peinture de compromis, car je souhaitais l'antifouling le moins "sale" possible; Nautix m'a offert une peinture prototype, sans cuivre qui est top et que nous allons tester sur mon périple. En voici les principales caractéristiques:
- c’est une « matrice dure », car les érodables sèment des particules d’acrylique (non dégradables) dans le milieu,
- cette matrice largue de façon contrôlée (grâce à l’eau qui pénètre très lentement dans la couche) une très faible quantité de biocides à l’action ciblée,
- le premier biocide vise le macro fouling (bernacles, mollusques…). Il se dégrade rapidement dans l’eau et ses produits de dégradation sont eux-mêmes biodégradables.
- le deuxième agent vise le micro fouling et les algues. C’est le même que ce qu’on met dans certains shampoings (!).

Et puis Stéphane Bulard va réaliser une pièce qui frôle la qualification d'oeuvre d'art, pour supprimer le jeu du safran. ça fait des mois que je réfléchis au système qui serait le plus efficace, en écoutant l'avis de différentes personnes et en réfléchissant à la question avec Corentin. Le truc, c'est qu'une fois l'idée trouvée, il faut le matériel pour réaliser la pièce. Et c'est là que Stéphane intervient. Il a l'équipement et le talent. Patrice Ledreff, qui m'a déjà dépannée avec de l'alu et du plomb nous offre des chutes d'acier qui seront parfaites pour faire la pièce. Les délais sont courts et Stéphane s'y met à fond.
Atelier improvisé
Terminé! le safran ne peut plus jouer
Il est 17h30 et nous sommes prêts. La peinture est posée, la pièce de renfort de safran est soudée, il est temps d'emmener Tara Tari sous la grue afin de le poser sur le plateau qui le descendra vers La Ciotat.
La nuit tombe, et la manip' va commencer. Il y a Franck, le transporteur et aussi "Bambino" bien connu dans le milieu de la course au large, Stéphane, Sylvie et Maxime bref... nous sommes nombreux à prendre soin de bien préparer le voyage routier de Tara Tari. Je suis super anxieuse, je fais dix mille fois le tour du bateau, il faut que le bateau soit bien posé. Devant ma petite angoisse, les gars sourient. "On a l'habitude, c'est notre métier, tu sais" "Oui, mais Tara Tari n'est pas n'importe quel bateau!" On passe une heure et demi à mettre tout en place. C'est bon, on peut y aller. Bambino me connaît, savait qu'il y avait quelque chose qui me tenait à coeur, alors il a parlé avec Franck, le transporteur pressé, et l'a convaincu de faire un petit détour avant de partir.

Nous voilà en route vers Kerpape. Présenter Tara Tari aux amis me tenait à coeur. Le mauvais temps des deux dernières semaines a empêché une visite au port. Alors si eux ne peuvent pas venir, Tara Tari va venir à eux. C'est peut-être compliqué, mais possible. Il fait nuit, et les amis sont là, devant les portes, le moment est très émouvant. On se tombe dans les bras. Aux fenêtres du 2è étage, infirmières, aide soignants et patients saluent le bateau "Bon vent Tara Tari!" "Fais attention à toi!" me crie Romuald bloqué à l'étage. Il y a Régis, journaliste au Télégramme qui est là. Il veut faire une photo, je me baisse pour me mettre à hauteur des copains, et il me dit "bah non, debout Capucine". Oui, je suis debout. Et je vais, portée par l'énergie des copains à roulettes, vivre à fond cette grande aventure. Violaine, Sylvie, Chantal, aide-soignantes qui se sont si bien occupées de moi sont descendues aussi, on se sert dans les bras, c'est si fort tout ça. Et c'est avec Christophe et les autres que je regarde s'éloigner Tara Tari. Le départ de Bretagne n'aurait pas pu être plus réussi. C'est magique. Sur la route, j'appelle Corentin, partage avec lui ce qu'il vient de se passer. Quand on y pense, ça aussi c'était assez improbable, un bateau à l'accueil de Kerpape! Toute une aventure! Mais tout est possible avec Tara Tari !
Le Télégramme, jeudi 10 novembre 2011
Christophe, Tara Tari et Capucine à Kerpape
Fauteuil flottant monté sur roulettes
Et c'est sous le regard amical et plein d'espoir des personnes qui me sont chères que Tara Tari a quitté la Bretagne sur ses roulettes.
Christophe, Pierre, Marion, Romuald, Héléne, et les autres, vous serez dans toutes mes pensées pendant cette aventure. Et Briac aussi.
Merci de m'avoir accompagnée pour ce départ de Bretagne,

Capucine

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire