lundi 30 janvier 2012

Le capitaine avait une petite tache sur sa cravate

Valence - Alicante, du 21 au 26 janvier 2012. En mer.
Encore, de jour et avec une bonne paire de jumelles et en observant les reflets du soleil sur la coque du cargo, identifier la trajectoire de ces gros bateaux relève du jeu, mais la nuit c'est plus compliqué. Au large, des cargos déboulent de tous les côtés en direction de Valence. Le vent est bon, et avec TaraTari nous traversons finalement à la voile. je reste très attentive, ce début de nav annonce de nouvelles émotions fortes.


Cela fait quelques heures que TaraTari a quitté la marina de Valence, et cela fait quelques heures que nous avançons donc entre les cargos. Il y a assez de vent pour pouvoir manoeuvrer, mais les cargos et les ferries m'impressionnent vraiment beaucoup. Ils arrivent si vite et ils sont si gros. De vrais immeubles flottants. Et puis ici, ils sont vraiment très nombreux. A chaque nouvelle étape, j'apprends un chapitre nouveau. Visiblement entre aujourd'hui et cette nuit, c'est un apprentissage intensif de la nav au milieu des gros bateaux. Ils arrivent de partout.

tiens, un livreur de légos

La nuit, on voit une lumière blanche grossir sur l'horizon. La petite lumière peut passer loin, ou se rapprocher, tous les cas sont uniques. A surveiller. Il faut 35 minutes environ pour que le petit point sur l'horizon ne se transforme en malheureuse collision. Si la lumière diminue, c'est que le cargo est parti embêter d'autres voiliers. Si la lumière devient de plus en plus grande, c'est que nos bateaux se rapprochent. Difficile de savoir exactement le cap du gros bateau. Il y a plusieurs indices qui aident à estimer son cap. Ces gros bateaux ont des feux blancs a l'avant et à l'arrière du bateau. S'il est possible de distinguer les deux feux, c'est que l'on voit un côté du bateau. Si ces deux feux sont alignés et qu'ils grossissent, c'est plus embêtant, cela signifie que le bateau arrive. Mais cela ne veut pas encore dire qu'il y a route de collision. Si on voit le feu rouge et le feu vert, alors là, c'est encore plus embêtant, car cela veut dire que le gros bateau est tout prêt et qu'il a pris TaraTari comme cible.
Là, je pense bien à ce que m'a expliqué mon coach spécial cargo (et qui se reconnaîtra). Quand un gros cargo approche, tant que l'on ne sait pas exactement quel est son cap, il ne faut pas changer sa propre trajectoire, enfin s'il y a assez de vent pour être manœuvrable au moment voulu, bien entendu. La dernière fois que j'ai essayé de passer, il n'y avait pas de vent, et je n'ai même pas essayé de m'aventurer dans ce plan d'eau qui ressemble étrangement à une piste d'auto-tamponneuses (à cause des lumières des bateaux certainement).

 - si je devais résumer ma soirée du 21 janvier au large de Valence -

Quoi qu'il en soit, ce soir, TaraTari et moi nous nous retrouvons en situation réelle et suivons les bons conseils donnés par les copains navigateurs.

A bâbord un ferry,


à tribord un autre ferry ou paquebot,


Olivier de Kersauson a dit un jour que quand un cachalot arrive par tribord il est prioritaire, et quand il arrive par babord il l'est aussi. Ceci est valable aussi pour les cargos. Et les ferries.

Au vent, le ferry qui arrive à tribord a visiblement décidé de passer au plus près de TaraTari. VHF en main, il est temps d'abattre (pas le cargo!), c'est à dire écarter le voilier de l'axe du vent, de manière radicale, à 90° de la route de ce monstre lumineux. C'est aussi le moment de réviser ses classiques et de chanter un bon titre de Bob Marley. Normalement le ferry est au courant - que je suis là, pas que je chante du Bob Marley. Il sait que nous sommes là, car TaraTari a un super réflecteur radar qui scintille comme un bijou sur son hauban tribord, mais c'est toujours bien d'avoir la vhf sous la main, histoire de faire les présentations, avant la rencontre.
Quelques secondes. Le ferry passe, à 100 mètres. A peine. Il est si proche qu'à son passage, j'ai pu voir les hommes de la cabine de pilotage les mains collées aux fenêtres. je crois qu'ils étaient un peu curieux et qu'ils ont fait exprès de venir voir de (très) près TaraTari.
En live, ça donne à peu près ça. Je n'ai pas l'option 3D sur mon petit appareil mais on imagine.. et oui, moi aussi en voyant ça maintenant avec TaraTari, je me demande "mais qu'est-ce que nous faisions là?" :)



Petites émotions, mais un stress maîtrisé qui a été un bon conseiller pour garder la lucidité nécessaire. Presque autant que Bob Marley, que je tiens à remercier pour sa précieuse aide et sans qui rien n'aurait été possible. Les ferries sont passés, et le soleil s'est levé. Pour ce qui est des cargos, même si je n'aime pas trop les voir de près, j'ai compris quelque chose. Qu'ils passent à 10 km ou à 100 mètres, tant qu'ils ne passent pas sur une coque en jute, finalement il n'y a pas de problème. Et il n'y a donc pas eu de problème. Si ce n'est cette petite tache que j'ai pu voir du coup, sur la cravate du capitaine du ferry. ça fait un peu désordre, je trouve.

Capucine

Valence, muy y mucho

Valence, le 15 janvier.  en escale.
Après une tentative de départ de Valence qui s'est conclue par un retour au port et deux - énormes et délicieux - petits poissons dans ma petite assiette, avec TaraTari nous sommes restés quelques jours bloqués au port par le vent fort. Et c'est ainsi que nous avons découvert un peu de Valencia, capitale de la paella, des oranges et des fallas.

le jute navigue sur le plan d'eau de l'America's Cup
J'aurais pu écrire directement Très et Beaucoup, mais Muy et Mucho, ça fait plus local. Muy et mucho sont deux mots qui reviennent plutôt beaucoup (justement) dans les lignes de mon récit d'escale Valenciana. Jamais facile ces récits d'escales. Valence, c'était tout en très et tout en beaucoup, enfin je veux dire en muy et en mucho.

Muy bonne idée. En tout, deux arrivées à la Marina Real Juan Carlos I. Marina qui ne figure pas sur les cartes marines, mais qui a la muy bonne idée de se situer au nord de l'entrée du port de commerce et qui me permet de me reposer, puisqu'avec si peu de vent, je n'arrive pas à traverser la route des cargos qui entrent et sortent du port de commerce.

Muy bonne ambiance. Lors de la première arrivée, il était 5h du matin et j'ai appelé la Marina pour annoncer l'arrivée à la voile de TaraTari? -"Vous êtes où?" m'a demandé par VHF le marinero.
- "en approche des feux d'entrée du port, je pense être là d'ici 30 minutes, car le vent est très faible et je suis au près".
- "rappelez quand vous les passez, je viendrai à votre rencontre."
Et 3h30 plus tard, j'ai pris la VHF et appelé, en plaisantant pour cacher ma petite gêne :
- "Ici TaraTari, j'arrive... "
Le marinero arrive avec son zod, fait le tour du bateau, et comprend vite "impressionnant ce bateau! continues à la voile, jusqu'au ponton d'accueil et je t'aiderai à t'amarrer. A dans... une heure! plaisante-t-il en s'éloignant.
Une heure, héhé, il n'y a plus que 500 mètres à faire. Petit comique. Et je le rappelle par vhf "dix minutes! et je suis "déjà"arrivée, mauvaise langue!" Bonne ambiance :) Et quand à la capitainerie on lui demande de m'emmener à un ponton situé plus loin, German (c'est son nom) me dit avec son beau sourire que si je lui dis que je reste toute la vie alors ok, il me trouve une place. Un peu charmeur, le German, mais vraiment sympa. Après une longue nav, ce chaleureux et rigolo accueil est bienvenu.

Muy chic. Rituel d'arrivée, présentation des papiers de TaraTari, mon passeport et le certificat d'assurance du bateau. C'est la même chose à chaque arrivée. Mais là, on sent que la Coupe de l'America est passée par là. Gomina dans les cheveux, chemises, et un bureau presque aussi grand que le port de l'Ampolla.

Muy immense et vide. La Marina a été construite pour l'accueil de la Coupe en 2007. Elle est immense, mais vraiment. Et elle et vide. Peut-être qu'en été, il y a plus de bateaux..? Et un peu plus loin, c'est encore plus tristoune.

La Coupe est finie, le bassin est à l'abandon.
Mucho gâchis. Un peu plus loin, je découvre donc le bassin du grand événement. C'est ici qu'étaient installées les équipes qui ont participé à la Coupe de l'America. Le ciel gris n'arrange rien, c'est super triste de voir tous ces bâtiments vides et à l'abandon. Il y a encore le nom de chacune de ces équipes, et même un Classe America posé sur le bitume devant le hangar des kiwis. Quel gâchis. Cela me met très mal à l'aise, je ne m'attarde pas. On m'explique que Valence n'a pas les moyens de se servir de toutes ces infrastructures.. pourtant il y a un grand prix de Formule 1 dans quelques jours. Le circuit est sur le port. Ce serait bien que des journalistes qui suivent la Coupe reviennent un peu sur les lieux du crime pour expliquer ce qu'il se passe "après" le spectacle qui a duré quelques secondes et coûté quelques lourds millions. Il paraît aussi qu'Alinghi a offert son cata à la ville. Il n'a jamais retouché l'eau "personne n'a le niveau, ici, tu comprends". Non, je ne comprends pas trop. Je quitte ce port fantôme, écoeurée.

Mucho de vent. Un coup de vent, même dans un port, c'est fatigant. 45 noeuds, rafales à 50. Les bateaux présents dans la marina ont tous un peu souffert, quelques amarres ont lâché, mais pas celles de TaraTari. Beaucoup de vent et de pluie. J'ai eu le plaisir d'être invitée à bord du voilier d'un couple de retraités belges qui passe l'hiver ici. Ils ont été adorables avec moi et j'ai vraiment apprécié le petit chauffage électrique et leurs bons repas. Il y a pas mal de couple de retraités qui vivent à bord de leurs bateaux ici.

TaraTari est juste de l'autre côté de cette digue

Muy, mucho ou trop? TaraTari et moi recevons toujours un super accueil, mais là, c'est démesuré je trouve. A la capitainerie, on ne m'a pas offert un petit tube de crème pour les lèvres marqué Amercica's Cup, mais on m'en a offert une vingtaine. Tout est en gros et en grand. Il y a un défilé constant sur le ponton, tout le monde vient, me félicite, me traite de folle et m'offre des cadeaux. Gaspar et sa femme Lisa m'invitent chez eux pour dormir dans un bon lit. Et puis il y a Oscar qui est réellement ému par mon aventure, et Emilio, Ricardo etc. Ils sont tous tellement gentils! Je n'ai pas l'impression de mériter tout ça. C'est assez incroyable cet effet que fait TaraTari partout où nous passons. J'ai l'impression d'avoir accompli un immense exploit alors que je ne fais 'que' naviguer, à mon rythme et comme je peux. Mélange d'impressions, l'accueil est si bon qu'il en deviendrait presque oppressant.

Muy bien pour le jute. C'est Emilio qui a prévenu les journalistes et aussitôt une équipe tv est arrivée pour tourner. Le reportage est passé aux infos, le soir même. La première fois qu'ils parlent du jute me disent-ils. Comme toujours à la tv, tout n'est pas tout à fait exact (je ne pars pas faire le tour du monde etc ) mais c'est bien pour le jute et c'était l'occasion de donner un peu de visibilité en Espagne à l'association Watever qui porte le programme de recherches sur la fibre de jute au Bangladesh.
Voir le reportage


Enfin voilà, escale de très et de beaucoup, escale d'un presque trop. j'ai besoin de retrouver ma solitude et mon bien être en mer. Et pourtant même mon départ de Valence est un petit événement. Les gens se sont rassemblés en équipages pour accompagner TaraTari sur les premiers milles. Une escorte de voiliers, quel honneur! Il y avait même un Muscadet! :)

départ de Valence, le 21 janvier 2012
Gracias a todos vostros de Valencia, de la Taberna del puerto, a Gaspar y Lisa, Oscar, German, Emilio, Ricardo y a todos por vuestro apoyo y amistad.
Capucine

vendredi 20 janvier 2012

Twist, du verbe anglais "se tortiller"

13 janvier 2012. En mer, devant Valence.
Elle est toujours là où l'on ne l'attend pas. Je parle de la difficulté. Comme ça, quand on en parle, ça à l'air fastoche. Une ligne, un hameçon, la mer et quelques poissons naïfs et le tour est joué. Et honnêtement, ce n'est pas beaucoup plus compliqué dans la mise en place. Le truc, c'est que, quand un poisson mord à l'hameçon, là, ça devient une autre histoire. Une histoire qui m'est arrivée.

Ce soir là, la nuit était bien sombre, le vent faible et les cargos nombreux. Quelques ronds dans l'eau à l'écart des dangers en attendant que le vent se renforce. Le moment parfait pour tenter de pêcher. Avec une ligne de fond puisque nous n'allons pas assez vite pour la traîne. Assez vite, le fil se tend. "Ohlala! un poisson!" je me concentre, repense aux conseils du navigateur Patrick Eliès qui, il y a quelques années à bord de son voilier Eglantine, m'avait appris à ramener un poisson à bord. Car non, ce n'est pas simple. Le poisson fait du ski nautique au bout de la ligne! Slalom dans le sillage du bateau, et si le poisson est gros (ou la ligne de mauvaise qualité), il y a un risque pour qu'il arrive à casser le fil dans le mètre qui précède sa venue à bord, ce qui est assez rageant. Mais c'est le jeu. Enfin, ce soir, le fil est de super qualité (ou alors le poisson pas si gros..). Doucement, je ramène le fil, et au bout de quelques minutes, le poisson est à bord! Une oblade! (petite dorade) - "héhé Patrick, tu serais fier de ton élève!" me dis-je alors avec un petit sourire plein de fierté.
Et maintenant?!
Pêcher ok, mais qu'est ce que je fais une fois que le poisson a mordu!?
Garder son sang froid.
La bête se dandine.
Au bout du fil, le poisson danse. je le regarde.
Il me regarde, chante et danse. Il est déchainé!
La scène est complètement surréaliste. Je filme "sinon on ne va jamais me croire !" pense-je :




Eddy (c'est le nom que j'ai donné au poisson) ne peut plus s'arrêter. Il se tortille au bout du fil en me disant "Viens poupée, viens danser le twist" enfin en vrai ça faisait plutôt " wouens poupée, wouiens dancher le twicht ". A cause de l'hameçon dans la bouche, certainement.

Quel déhanché!
- "T'as la classe, Eddy!" je rigole toute seule!
J'ai envie de le prendre en photo.

Est-ce que quelqu'un a déjà essayé de prendre en photo un poisson accroché à un hameçon lui même noué au bout d'un fil ? mmm? Alors ? j'attends. C'est bien ce que je pensais.

La crise économique, le réchauffement climatique, les retards des trains... il y a des problèmes dans la vie, mais là, je dois faire face à un Vrai problème. Dans une main, je tiens la ligne, au bout duquel est noué l'hameçon, qui lui-même se trouve dans la bouche d'Eddy qui lui même twiste. Dans l'autre main, je tiens mon petit appareil sans flash. Ma frontale joue les projecteurs pour Eddy qui est en transe. 

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- "Bon, Eddy, t'es mignon, tu arrêtes maintenant!"
Ce terrible petit poisson pourrait prendre la pose, c'est vrai quoi. Je n'ai que deux mains. C'est un fait. Et il y a un peu de houle, je ne peux donc pas me servir d'un de mes pieds pour stabiliser la star. Prendre Eddy en photo est super dur. Ah ça, des photos de profil et de dos, j'en ai! C'est comme les photos floues, j'en ai un paquet!
- "T'as envie de faire pipi et tu n'oses pas le dire, c'est ça?"
Bon, il faut que je trouve autre chose.

J'ai pris un autre hameçon, et j'ai pêché un autre poisson.
Mademoiselle Poisson de Roche. Fille de bonne famille.
Belle et bien maquillée. Tranquille, et plutôt bien dans ses écailles.
Je l'ai pris en photo. Elle a pris la pose, elle.

Mademoiselle Poisson de Roche

Et j'ai regardé Eddy. Il était sous le charme de Mademoiselle Poisson de Roche.
Il ne dansait plus le Twist.
Il a pris sa grosse voix de séducteur et a chanté pour elle.
"Elle avait les yeux couleurs menthe à l'eau"- ça vient de là.

Et j'ai pu prendre Eddy en photo.

Eddy, mon premier poisson.

Quand à la fin de l'histoire...
Même si cela ne regarde personne, il semblerait que Mademoiselle Poisson de Roche soit passée à la casserole. Mais le pauvre Eddy n'est plus là pour en parler.
Tragique. Genre Shakespeare. Avec un peu de Twist et de citron.

Capucine

jeudi 19 janvier 2012

noisettes

12 janvier 2012. En mer.
Ce matin, le soleil s'est levé avec une agréable pensée.
Tara Tari et moi avons passé le Golfe du Lion, le Cap Creus, le Cap San Sebastian, le Cap Tortosa... 450 milles en Med et en hiver. petit à petit, à notre rythme, nous avançons. Malgré les coups de vent et les calmes, le froid et l'humidité, malgré les pêcheurs, les cargos, les fermes de poissons, nous sommes arrivés à Valencia, prêts et en forme pour continuer.
Alors voilà. Ce matin, le soleil se lève et, bêtement, je souris aux anges.


Avec ce sourire un peu idiot de l'adolescente amoureuse,
la fatigue aide à rendre le moment intense,
bref instant où j'oublie pêcheurs et cargos, les feux rouges et les feux verts,
et je dis à TaraTari,
d'un regard,
d'un sourire,
quelque chose comme "pzozfjzêjfbs°uioiicxbq^mozuahedfuyzebhiinuisqdbi°"
vous ne pouvez pas comprendre,
- c'est un langage secret.

La route est longue, mais nous avançons, c'est bien.
Du coup, ce matin à bord, quelques noisettes pour fêter ça!


Et je me suis même accordée une petite récréation. Et oui, sans gêne.
Avant de manger les noisettes, j'ai voulu jouer aux billes. Du pied de mât, il fallait mettre la noisette dans le hublot avant. Bien entendu, j'ai pensé à ouvrir le hublot avant de jouer. C'était dur, mais aucune perte du côté des noisettes, et une écrasante victoire.
Ecrasante victoire car, dans l'euphorie du moment, j'en ai écrasé une. je ne suis pas fière. On ne joue pas avec la nourriture, ça m'apprendra.

Elles étaient délicieuses.

Il en faut peut pour être heureux, dit Baloo à Mowgli.
Baloo a tout dit.

Ah et en arrivant au port j'ai découvert dans ma messagerie un joli cadeau, un petit film fait par mes amis Nicolas & Pepe (musique), de Barcelone! TaraTari héro d'un court métrage espagnol, c'est à voir.
Avec un peu de mousse, une petite lampe ikéa, une serviette de plage, une superbe voix, un harmonica et une guitare... en mer ou au cinéma, avec peu on peut faire de belles choses :)



Gracias Nicolas y Pepe...

à bientôt et longues vies aux noisettes!!
Capucine

mercredi 18 janvier 2012

Aux feux

9-10-11-12 janvier 2012. En mer, de l'Ampolla à Valencia.

Push "start" to play.
Delta de l'Ebre - Niveau Force 'orange'

On va choisir un niveau "Force un point moins fort", genre 'bleu'.

Avec TaraTari, nous sommes à bloc. 20 noeuds de vent pour quitter la petite Ampoule, parfait. Et puis j'avais bien préparé ma nav', avec les pêcheurs. L'endroit - le Delta de l'Ebre - est connu pour être dangereux. Parce qu'il y a toujours plus de vent à cause de ce que l'on appelle un effet de site, et parce que les tempêtes fréquentes en cette période de l'année déplacent les bancs de sables qui entourent le Delta. A Vilanova, Uri m'avait dit que quand il y a du vent dans le Golfe du Lion cela signifie qu'il y en a aussi beaucoup dans le Delta de l'Ebre. Le passage est délicat car aucun abri possible entre le nord et le sud. La partie commence. Avec quelques pièges mais pas trop de vent 10 nds pour passer la Cap. Tout en douceur. Évidemment, je passe tous les endroits stratégiques de nuit, alors pas d'exception pour Tortosa.

Je pourrais dire que c'est magnifique mais en vrai, je n'en sais rien, je n'ai rien vu. Du tout. Enfin si, la lune et le phare. On m'a dit "filme" alors j'ai filmé. Et on ne voit rien. Du tout. Enfin si, la lune et le phare.
Pour regarder ce légendaire passage du Cap Tortosa, il est impératif d'ouvrir les fenêtres - et oui je sais, ça devient une manie - ou alors la porte du frigidaire, histoire d'être en conditions glaciales presque réelles.



Vous n'avez rien vu? Moi non plus.
Enfin si. La lune et le phare.
Mais TaraTari a passé avec succès le Delta de l'Ebre. ça, je l'ai vu, j'y étais.
Et si le plus dur était fait?
Tu parles.
Le jeu -qui n'en est pas un- commence.

The Plateforma.
Un énorme machin lumineux là-bas, un peu plus loin.
Qu'est ce que c'est que ce truc? Je ne vois rien sur la carte.
Enfin si, le phare mais plus la lune.
On m'a parlé d'une plateforme d'exploitation de gaz, inaugurée il y a trois mois. De loin, on aurait dit un immense cargo en feu. Assez terrifiant.

La nuit s'en va doucement mais le vent se lève rapidement.
Ce n'est pas raccord.
Peu importe.

una luz à l'horizon, à droite. 

TaraTari file. Vite vite vite.
A la latitude de Vinaroz, tout se complique.
Les pêcheurs.
Des armées entières.
La navigation se complique. Tout se complique.

babord

Ils sont partout.
Rouge, Vert, Blanc, Rouge et Vert.
Des feux de tous les côtés. 
Pas de panique TaraTari, on va s'en sortir.

tribord

Et j'ai rangé l'appareil photo.
Un peu trop de boulot à la barre.
Ils sont là, tout près.
Quand les chaluts sont sortis, il ne faut pas se prendre dans les funes.
Les funes ce sont les câbles en acier qui traînent le chalut, derrière le bateau.
Je vire, et enchaîne les virements..
j'évite ainsi les bateaux, les funes et les grosses vagues qu'ils forment sur leur passage.

Quand tu veux, le jour, pour vraiment venir faire la lumière sur tout ça.
Axe vertical, de haut en bas j'identifie des feux blanc, rouge, blanc, rouge.
'me souviens plus. Enfin je ne sais pas si je l'ai déjà su.
je descends dans le bateau, ouvre la bible, les cours des Glénans.
et puis je regarde dans le Bloc Marine.
C'est un bateau de pêche de plus de 50mètres dont la capacité de manoeuvre est restreinte.

Sans cesse, des "feux surprises" surgissent.
j'en découvre un, et un autre apparaît aussitôt.
le jeu s'intensifie,
Il faut tout esquiver.


Et le soleil, enfin, arrive.
Le soleil.
Feu préféré.
Feu désiré.
Et les pêcheurs sont rentrés.

Et la plateforme n'est pas rentrée.
Avec TaraTari, nous lui tournons autour.
Elle ressemble à un bateau. Immobile.
Qu'est-il passé par la tête des ingénieurs et des archis qui ont mis ce gigantesque leurre ici?!


Je fais un point toutes les heures.
Pas sur ma vie,
mais sur la carte.
Et dans mon journal de bord.
Toute la nav' est notée là,
voir notre progression est un réel plaisir.

cahier trempé par l'humidité

Je ne sais pas comment expliquer ce petit bonheur. La route se dessine.
Un crayon, une règle Cras et hop, une petite croix et l'heure, sur la carte.
La règle Cras est un double rapporteur transparent, qui permet de tracer une route ou de porter un point par relèvements sur une carte marine.
Et puis au stylo dans le cahier.
Au stylo, c'est imposé par les autorités.

carte trempée par l'humidité, en plein séchage

Nous avons bien avancé.
La preuve. Je dois changer de carte marine.
En repliant celle du Delta de l'Ebre, je souris, et félicite TaraTari.
- "Nous avons réussi, TaraTari!"
Mais la partie n'est pas finie.
Je n'ai quasi pas dormi, un stress bien veillant me tient en éveil.



Un peu de thé
chaud,
pour fêter ça.

La nuit est revenue,
et les pêcheurs sont revenus,
avec leurs feux.

Des bouées clignotent.
"Les fermes piscicoles! ça faisait longtemps!"
et les ports de commerce... Sagunto... Valencia...
35 petites minutes pour qu'un petit point sur l'horizon devienne un immeuble de containers à la hauteur de TaraTari. A la hauteur de notre position, pas à la hauteur du bateau. Ils peuvent en empiler, des boîtes. Personne n'arrive à la hauteur de TaraTari, pas même un gros cargo.



Quelques manoeuvres et le danger est éloigné.
Mais les dangers sont très et trop nombreux.
Ils arrivent de partout et le vent est désormais trop faible pour risquer de s'engager.
Et je ne fais pas la maligne.
- "Il est où, le bouton "pause" dans ce jeu ?!
Impossible de traverser, de passer l'entrée du port de commerce de Valence.
L'arrêt s'impose. Valencia, nous voilà.

Je comprends pourquoi à la maison nous n'avons jamais eu de jeux vidéos. C'est nul les jeux vidéos. Tous ces feux.. c'était tellement pénible. Envie de jeter un sceau d'eau sur tout ça. Éteignons les lumières, les rouges et les vertes et celles qui clignotent, blanches ou jaunes.

Si je m'ennuie à bord?
3 jours et 3 nuits.
Pas une minute de répit.
Cette nav était usante. 
TaraTari a passé le Delta de l'Ebre et j'ai vu la nuit, la lune, le phare, le soleil et tous les feux.
Les feux.
Remarque, nous sommes partis de l'Ampoule.

Les célébrations de Saint Jean du 24 juin sont tombées en janvier cette année.
étrange.

Capucine

lundi 16 janvier 2012

c'était comment ?

Lundi 9 janvier 2012. Un dernier regard vers l'olivier. TaraTari et moi repartons en mer.
Le marinero est là, sur le quai. Il me sourit, pose une question qu'il pense certainement banale.
- "Alors, l'Ampolla, c'était comment? " 
- "Bien "
question complexe,
réponse simpliste.


Comment font les gens pour raconter? Par chronologie? Par ordre d'importance? Il faut faire un tri, on ne peut tout raconter. Comment savoir si le dîner à bord du cata des Italiens était plus important que le fait que j'ai fini de repeindre en orange la fenêtre de ma chambre (enfin le hublot avant, quoi) ou encore que la fille du gérant du restaurant du club nautique à décidé de faire tout un travail à l'école sur TaraTari et moi ? Il y a-t-il un classement par genre? Les dîners d'un côté, les rencontres d'un autre côté, les flamands roses et autres canards par ici. Existe-t-il un questionnaire marketing spécial événements du quotidien pendant une escale? ce serait pratique.
- "Le hublot repeint, le dîner avec les Italiens, l'interview pour le journal de la ville, la promenade dans le Delta, et toi aussi, le coucher de soleil du 5 janvier, par là... voilà.. Amis événements, rassemblez-vous, s'il vous plaît et répondez aux questions suivantes en cochant la lettre qui vous semble la plus exacte.
1. Vous estimez votre existence dans l'aventure :
a. bien plus importante que celle des autres, il faut impérativement la raconter
b. importante: si t'as rien d'autre à dire, tu peux la raconter
c. tout le monde s'en fiche, oublie.

Souvenirs en vrac, j'en ai noté plein. Sans ordre, sans classement.. et pour respecter cette anarchie de souvenirs dans mon cahier, j'ai écrit de droite à gauche, de gauche à droite, de haut en bas, dans la marge, à l'envers et parfois aussi à l'endroit.

L'Ampolla, littéralement "bouteille" ou "ampoule" en catalan. Ici, on retient "ampoule", allusion au phare de ce petit port. C'est une drôle d'idée de nom de village ça, "l'Ampoule".

- plan de la ville -

L'Ampolla - ça rend mieux en V.O. - c'était les douze grains de raisin épluchés, c'était l'asticot du port, le petit olivier, l'accueil des pêcheurs, la venue de Joséphine, un rond point, le vent incessant, le pépin et mon roi adoré.. Mais l'Ampolla c'était aussi une multitude de petites choses. Les grands moments sont comme des cailloux que je mets dans un pot de souvenirs, et la multitude de petites choses serait quant à elle, le sable fin que je verse ensuite dans ce pot. Le sable se faufile entre les cailloux, rempli le pot, forme le tout. Impossible de hiérarchiser l'importance de chacun des grains de sable. Ils comptent tous. Et au moment de larguer les amarres, cette question "Alors c'était comment l'Ampolla?" a fait tourbillonner le sable dans ma petite tête. je crois que j'aimerais chaque petit grain de souvenirs. à part peut-être...

l'Anguille en sauce - spécialité locale. 
Il y a quelques jours, quand Joe était là, nous sommes allées naviguer. Un petit grain de sable fin que j'ai aimé. Plus que l'anguille. C'était la première nav' de l'année pour TaraTari et pour moi aussi du coup. L'idée c'était de permettre à Joséphine de naviguer un peu et puis aussi de repérer de "jour" le plan d'eau jusqu'au phare de Fangal, le long du Delta de l'Ebre.

1ère nav de l'année pour TaraTari!
Conditions de rêve : 20 noeuds pour commencer à fond les ballons et puis 10-15 noeuds, pour profiter tranquilou. Dans le jargon technique, on appelle ça "un bon moment".
Et pendant ces 7 ou 8 heures de navigation, j'ai vu Joséphine sourire comme jamais. je crois qu'elle a bien apprécié. TaraTari est un séducteur. Et pendant ce temps-là, je mettais tous mes efforts dans la préparation du repas. Au menu du dîner : poisson.

et finalement, nous avons mangé des nouilles. sans poisson.

A l'Ampolla, nous avons voulu prendre un bus et il n'y en avait pas. Nous avons fait du stop pendant 3h et nous avons fini par aller voir un truc tout moche dans le Delta. C'était triste, désert et moche. Et puis un autre jour, alors que nous étions en pleine discussion à la terrasse d'un café avec Joe, un homme est venu et m'a demandé en étant assez sûr de son coup "Tu es Capucine de Tara Tari ?" Capucine de Tara Tari, la classe.
-"j'ai lu Voiles et Voiliers, et j'ai vu sur votre blog que vous étiez à l'Ampolla, j'ai pris ma voiture, je voulais vous voir"
Il nous propose une balade dans le Delta et nous invite à déjeuner. Seule, j'aurais refusé, mais là nous sommes deux. L'homme est sympa, a une soixantaine d'années, un gros 4x4 Mercedes de la principauté d'Andorre, une grosse montre Tissot, une casquette Alinghi, et dit naviguer que sur des gros bateaux. On le croit. Superbe balade en voiture climatisée, au milieu des oiseaux et des beaux paysages. Le déjeuner a été assez étonnant. Cordiale confrontation de philosophies de navigation. Il me donne conseil sur conseil, mais des conseils inadaptés à mon aventure. J'essaie tant bien que mal de lui expliquer que ce n'est pas parce que je navigue avec peu de moyens que je ne prépare pas mes navigations. Après ce déjeuner-là, je n'ai eu qu'une hâte, celle de repartir en mer avec mon si simple compagnon TaraTari. J'ai préféré le Delta version en stop.


A l'Ampolla, il y a eu la famille de la "Casa Montero". Ils m'ont tous accueillie comme si j'étais de leur famille. Carme, Xavi, Anna, Miriam des enfants adorables qui m'ont dit qu'ils allaient essayer de réaliser leur rêve, eux aussi. Miriam qui a 12 ans m'a envoyé un message que j'ai reçu il y a deux jours et qui me touche beaucoup. En voici un extrait:
" (...) Quería comentarte  que  voy a hacer un trabajo para el instituto sobre una historia periodística y yo te he elegido a tí, me pareces un modelo ejemplar para saber que tus sueños si te esfuerzas los puedes llegar a conseguir y si no es posible, por lo menos habrás luchado con todas tus fuerzas. (...)"


Cela n'a pourtant rien à voir avec la philosophie et les rêves qui se réalisent ou pas mais il y a aussi eu un petit appareil que j'ai vraiment bien apprécié. Une boîte magique qui se trouve dans les douches de la capitainerie et qui, quand ont on appuie sur un gros bouton, déclenche un souffle d'air tiède qui permet de se sécher les mains. En me contorsionnant un petit peu, j'ai pu me sécher les cheveux. Petit confort bien agréable quand il fait -72°C dehors en exagérant presque pas trop. Je l'ai vraiment bien aimé ce petit appareil et pourtant, je suis sure que tout le monde s'en fiche.


Voilà, il y a eu de nombreux grains sable. Et le pot des souvenirs de l'Ampolla est rempli.
Comme ceux qui collectionnent les sables du monde, j'ai remis le capuchon sur mon petit étui de pellicule kodak, pour emporter avec moi un peu de tout cela... je ne raconte rien, tant pis, je ne sais pas comment faire.

Un dernier regard vers l'olivier. TaraTari et moi repartons en mer.
Le marinero est là, sur le quai. Il me sourit, pose une question qu'il pense certainement banale.
- "Alors, l'Ampolla, c'était comment? " 
- "Bien "
question simpliste,
réponse complexe.

Capucine

dimanche 8 janvier 2012

j'ai eu le pépin

Dimanche 8 janvier 2012. C'est DjianDong qui a été sous la table. C'était surtout par commodité. Il ne bouge jamais de là. Là, sous le plancher de la descente. Aujourd'hui, c'est encore un jour de fête. Parce que l'on va enfin repartir, mais aussi parce que nous avons "tiré les rois" à bord.

Pas de galette de frangipane. Une clémentine, c'est aussi bien. Il y a des vitamines et en plus, les parts sont prédécoupées.

une part pour la Grand Voile, une part pour la bouilloire, une part pour la rouille....

DjianDong, le foc, le détecteur radar..... nous avons tous eu notre part.
Je prends mon bout de clémentine,
l'avant dernier,
un petit truc dans ma bouche
:)
j'ai eu le pépin!

 - je vais le poser sur l'étagère et commencer une collec' -

Décision stratégique et hyper importante. Il me faut choisir un Roi.
TaraTari,
beau gosse
je n'hésite pas longtemps,
lui offre ma boat-made couronne
en jute.

 - Intronisation de TaraTari le 8 janvier 2012 à l'Ampolla -

Demain, à l'aube, nous repartons en mer.
Royal.

Capucine

samedi 7 janvier 2012

Merci! Vive Jules Verne !

Ici c'est Brest! enfin c'est l'Ampolla et c'est pareil; ça se fête! Un peu coupée de tout, j'ai tout de même appris que Loïck Peyron et les hommes du gros bateau bleu et blanc sont arrivés hier soir en rade de Brest, décrochant ainsi le Trophée Jules Verne. Il symbolise le défi de réaliser le tour du monde à la voile le plus rapidement possible, en équipage, sans escale et sans assistance sur une distance orthodromique de 21 760 milles. C'est en pensant au Tour du monde en quatre vingt jours écrit par Jules Verne que le navigateur Yves Le Cornec a décidé de lancer ce défi fou, en 1985. A bord de la péniche d'Yvon Fauconnier, et entouré de navigateurs tels que Peter Blake, Titouan Lamazou, Olivier de Kersauzon, Bruno Peyron, Didier Ragot ou encore Florence Arthaud et d'autres, les règles sont établies et l'objectif d'un tour du monde en 80 jours semble réalisable. Quelques années plus tard, nous sommes en 2012 et l'équipage de BPV n'a mis que 45 jours pour faire le tour de la planète!!
Merci Loïck et tous les autres d'être allés au bout!


Sur mon petit ordi, je mets la musique I'm Free de Stevie Wonder, et je chante. Un rêve vient de se réaliser et c'est la fête à Brest et ce sera bientôt la fête à la maison, à Lorient, pour le retour du bateau à son port d'attache. Là, j'entends mes amis Jeanne (Grégoire) et Armel (Le Cleac'h) commenter l'exploit, ça fait vraiment plaisir de les entendre si heureux!



A bord de TaraTari je souhaite rendre un petit hommage à l'équipage et à tous ceux qui ont permis ce bel exploit - le Maxi Banque Pop et TaraTari sont cousins via Vplp.
Et avec les moyens du bord, je fais une petite maquette de TaraTari version maxi trimaran:

- Maquette  TaraTari version Jules Verne -
Merci Jules Verne! merci les marins qui ont eu l'idée de ce tour du monde par les 3 caps! merci les hommes du jour! et merci Stevie Wonder pour chanter la liberté!
Ce genre de moment me fait penser que rien n'est impossible!
Vive les rêves qui se réalisent!

Capucine

vendredi 6 janvier 2012

La robe d'Isabel

Vendredi 6 janvier 2012. L'Ampolla.
Au mur, quelques vieilles photos du port en noir et blanc. Du port tel qu'il était encore il y a cinquante ans. Dans la tempête et dans les calmes. Une rangée de bouteilles de whisky cache quelques voiliers de pêche en bois. Mon regard se perd dans le grain épais de cette photo. Autour de moi les hommes ont les visages ridés par le temps, le soleil, le sel et les années. Cheveux poivre et sel, un peu longs et aussi désordonnés que les débats du jour. Quels âges ont-ils? Aucune idée. Certains me disent que cela fait 45 ans qu'ils pêchent. Ils ont commencé à 15 ans mais ces choses-là ne se calculent pas. Ils sont pêcheurs, et n'ont pas d'âge. Ça parle fort autour de ces petites tables et je ne vois pas d'autres femmes. Enfin si, il y a Juanita. Tablier ficelé autour de sa mini jupe. Une jolie femme. Un homme arrive, même dégaine que les autres. Grosse chemise de laine et veste en jean, quelques boutons ouverts qui laissent apparaître un torse un peu poilu, un peu grisonnant. Il embrasse Juanita sur les joues. De ma chaise, j'ai l'impression qu'il lui gobe les joues. Elle se laisse embrasser, rougit un peu en baissant le regard et avance de quelques pas en décapsulant les trois bières de son plateau en métal.
Les hommes. Des vrais. Ils ont tous le nez levés vers l'écran de télévision. Il est encore tôt. La robe rouge sang et la voix grave d'Isabel Pantoja font frissonner les avants-bras poilus. Les décibels montent, le patron est là, pointe la télécommande vers le téléviseur. Tout le monde se tait, écoute et regarde la "Veuve d'Espagne", cette chanteuse de Séville, danseuse de flamenco qui sous sa chevelure noire envoute l'assemblée, chante son désespoir dans sa robe volante. Un homme, gitan d'après les connaisseurs, lui tourne autour, claque des pieds en bombant le torse. Ses cheveux longs et sa chemise noire lui collent à la peau. Il transpire. La séduction est un art que les andalous dansent comme se défendent les taureaux piégés dans l'arène. De sa sueur, dégoulinent la virilité et la puissance. Enfin apparemment. Je regarde les visages et les regards captivés. "Quelle femme" disent-ils sans retenue. On me ressert un verre de vin. Aussi rouge que le jambon Iberico. Et je suis là, parmi eux, les yeux rivés sur cette femme qui malgré les impressions ne chasse pas les moustiques, mais danse le charme andalou.

- je préfère mon ciré plein sel, plus pratique à porter à bord je pense -

Sur le comptoir, j'étale ma carte marine du Delta et du Cap Tortosa que prévois de passer demain ou après-demain. Le patron fait signe et trois hommes se rassemblent autour de la carte. Ils parlent tous en même temps. De question en mise en garde, je gribouille sur mon carnet quelques bribes de conseils. Qui mieux que les pêcheurs pour m'aider à passer le périlleux cap. Est-ce mon histoire, le bateau ou le rêve que je tente de réaliser ? Quelque chose leur plaît. "L'hiver la mer ne laisse passer que les braves. Si tu es arrivée là, seule et en hiver c'est que tu as le courage des gens de mer. Tu n'es pas un imposteur. Viens à notre table! " L'un d'eux replie la carte, un autre me tape sur l'épaule, pousse une chaise pour me laisser sa place. Un verre de rouge. Un autre. "Du bon". Et ils me parlent, partent dans leurs souvenirs de pêche. Je n'arrive pas à croire que je suis là au milieu de ces hommes qui n'invitent pas de femmes à leur table. Quelques morceaux de fromage et de jambon dans une coupelle, et dans une autre, un peu de bonite fumée, pêchée juste-là, me montre-t-on du doigt. Du doigt d'une main qui aurait été celle d'un bucheron si elle n'avait pas été celle d'un pêcheur.
Mes mains les intriguent aussi. Il faut dire que j'ai passé la matinée avec Djian Dong, et j'ai donc les mains et les ongles couleur rouille. Malgré le savon moussant du bar. Mais le moteur, c'est encore une autre histoire.

Le téléphone à pièce posé sur comptoir sonne. Un des hommes se lève, dit quatre "si" et raccroche. Il revient, récupère sa veste et nous dit que sa femme l'attend pour le déjeuner. Il est 15h mais il n'y a pas d'heure. C'est comme pour l'âge des pêcheurs. Ils n'y en a pas vraiment. Les autres ont sorti les dominos autour de calamars fris. Ici, on boit des bières, du vin et on joue aux dominos. Pas de musique, mais le son de la télévision. Le patron zappe, revient s'asseoir à mes côtés, télécommande à la main. Il me dit qu'après les infos il y aura la météo, de prendre des notes. A chaque fin de bulletin météo, il zappe et monte le son pour me permettre de voir le bulletin météo d'une autre chaine. J'en regarde cinq. Il remet du vin dans mon verre. Impossible de refuser. Mais impossible aussi de le boire. Je trempe mes lèvres, fait un peu semblant. Il pousse vers moi les petites assiettes de jambon et de bonite... "mange, tu dois prendre des forces". Derrière les lunettes du viel homme, la gentillesse du sage. Il est plongé dans ses souvenirs. Entre deux bulletins météo, il me raconte les souvenirs de son enfance, à bord du petit bateau de son père. Parfois il hoche la tête, et me dit que je suis une aventurière qu'il est fier de connaître. Juanita s'approche, repousse sa queue de cheval et ajuste sa frange. Elle me tend un mot qu'elle a écrit de la part de tous.
"Il ne s'agit pas de vivre de rêves.. mais de les vivre, de se battre pour eux et d'avoir le courage pour qu'ils se réalisent. ... Finalement l'important est d'être en vie et de vivre de grandes émotions, ton voyage en est la preuve. Courage!"

retour de pêche au port de l'Ampolla
Dans cet endroit, repaire de pêcheurs, on me parle sans cesse de ce que je fais et de ce que j'ai déjà fait. Ils n'en reviennent toujours pas. Certains m'ont vu sur l'eau, arriver de nuit, d'autres sont venus voir TaraTari. Et nous sommes le sujet de conversation. TaraTari, la fibre de jute, les pêcheurs du Bangladesh.... La conversation est passionnante et passionnée. Les pêcheurs sont visiblement sensibles à ce qu'il se passe de l'autre côté du monde. Et Isabel ne danse plus. Les noticias parlent de l'euphorie de ceux qui ont gagné la loterie nationale. Les bières et le vin ont réchauffé les sangs purs. Les hommes rient. Ils me disent d'attendre encore quelques semaines, le temps de venir en pêche avec eux. Quel honneur! C'est rare je pense d'être accueillie parmi les pêcheurs. "C'est gentil, j'aurais beaucoup aimé, mais je dois continuer et descendre vers le Sud". Et ils rient encore, s'amusent de mon obstination, et plaisantent en s'imaginant venir à bord. Quelques uns décident d'accompagner mon départ de l'Ampolla avec leurs gros bateaux, d'autres me disent qu'ils viendront à Alicante pour fêter mon passage du Cabo Tortosa, d'autres encore me disent qu'ils viendront un jour en Bretagne voir le "Mont Saint Michel" et qu'ils me rendront visite.... si je décide un jour de rentrer, ajoutent-ils. Rentrer. Je n'y pense pas encore.

Nous sommes autour de la table, sous le téléviseur, autour des bières, du vin, des dominos, du jambon et des olives quand l'un d'eux pose sa main de bucheron pêcheur sur mon bras: "Montre moi ta carte". je déplie ma carte marine ondulée par l'humidité et les embruns, tâchée par la rouille. Certains se tournent, comme par pudeur. L'homme m'indique un endroit, puis un autre. Un troisième. On me ressert du vin. Le son du liquide rouge remplit le verre et le silence. La bouteille est reposée et je regarde la houle rouge qui danse dans le verre. Il reprend. "Ici, et c'est un secret que je te confie, tu pêcheras les meilleurs poissons de la région". On se regarde. Il me tape l'épaule et sourit. Je souris à mon tour. Les hommes lèvent leurs verres et nous trinquons gaiment. Et l'un me regarde et dit "Quelle femme". Ne voulant pas me montrer flattée par le compliment, je lui réponds en regardant mon pantalon "pourtant mon ciré jaune ne fait pas vraiment le même effet que la robe rouge d'Isabel". Et nous rions ensemble.


Je m'échappe avant être saoule. Le vent siffle et les bateaux sont tous au port, ou presque. Je comprends qu'il est facile pour un loup de mer d'enchaîner quelques verres à l'abri du vent fort. Mais je ne suis pas un loup.
Qu'il est bon de sentir le vent sur mon visage après ce partage peu banal. Mes pieds me portent de l'autre côté du port, et je m'endors quelques instants à bord du plus beau petit voilier.
Allongée, les yeux fermés, je confie à voix basse à TaraTari le secret qui restera entre nous. La tête dans l'ivresse de cette petite histoire de vie parmi les pêcheurs catalans, au pied des montagnes, autour du vin et du jambon, sous le téléviseur et les volants de la robe rouge d'Isabel l'Andalouse.

Capucine


- ps privé pour maman : ne t'inquiète pas, en vrai je n'ai bu qu'un Orangina. :)

lundi 2 janvier 2012

Pauvre petit asticot

1er janvier 2012. L'Ampolla. 40 noeuds de vent dans le port, hier. Aujourd'hui 0 noeuds de vent et demain 45 noeuds annoncés. 1er janvier, jour férié pour Eole, et nous sommes à quai.

La thématique "survie" me plaît beaucoup. Se débrouiller, composer avec ce que l'on peut et ce dont on dispose à un moment et un endroit précis me fascine. Là, par exemple, je suis dans un petit port, j'ai un hameçon, du fil, pas de frigidaire et encore moins de magasin Picard et pourtant, j'ai un dîner à cuisiner. Il va falloir que je m'active pour trouver de quoi préparer un bon repas à mon invitée qui est ici en vacances. Joe travaille à Paris dans le restaurant d'un Chef espagnol étoilé, ce qui me met un peu la pression pour la préparation du dîner. A bord de TaraTari on sait recevoir et je vais essayer de le prouver. Jour férié ou pas, je me lance dans un atelier pêche.

Les bonnes astuces de survie, je pense qu'il ne faut pas les dévoiler. Car, par principe, en dévoilant une astuce de survie, on diminue ses chances de survivre. Logique. En survie, c'est chacun pour soi c'est comme ça. Cependant, j'accepte de partager cette petite astuce de pêche, très utile quand on est dans un petit port (l'eau est trop sale dans les gros ports), que l'on a du fil et un hameçon.




Je ne vous dirai pas si l'astuce a marché, ce jour-là.
mais les boîtes de sardines ont du bon, sinon.

A bientôt,
Capucine

Les douze grains de raisin (épluchés)

1er janvier 2012. L'Ampolla.
Une tempête a décidé de réveillonner au Delta de l'Ebre et m'a empêché de repartir. Alors le 31 décembre, TaraTari et moi étions à terre, mais pas malheureux.
Il y a quelques semaines, ma bonne amie Joséphine m'avait dit qu'elle me retrouverait le temps de ses vacances. "Je te retrouve où?" "je ne sais pas". L'aventure ne permet pas d'anticiper grand chose, pas même les vacances d'une bonne amie. Il y a quelques temps on avait parlé de vacances aux Canaries ou au Cap Vert. Bon et bien, ce sera l'Ampolla. Joséphine a déjà fait deux tours du monde, mais l'Ampolla, elle ne connaissait pas. C'était l'occasion.
L'Ampolla, ce sont 3000 habitants, un rond point, une petite gare et un petit port de pêche. Et tout ça au même endroit. Au pied des montagnes du Delta de l'Ebre.

Joséphine arrive.
- " Où êtes-vous? " m'écrit-elle du train.
- " Cachés! à toi de nous trouver! :) "


Et Joséphine nous a trouvé.
:(
Malgré notre super planque.
Derrière l'olivier.
Pourtant, avec TaraTari, on était super fiers de notre cachette.

le Delta de l'Ebre, vu de TaraTari le 31 décembre 2011
Le 31 décembre, la ville fait la fête. Mais à bord d'un bateau, même amarré, c'est une soirée à peu comme les autres. Il y a beaucoup de vent ce soir, mais c'est normal, pour des filles dans le vent. Le ciel est beau, les nuages filent, sculptés par l'air frais des montagnes.

La nuit tombe sur l'année 2011.
Nous aurions pu aller faire la fête au village, mais non. Je suis contente de rester à bord. C'est avec TaraTari que je termine l'année, et à bord de TaraTari que je démarre l'année. Joséphine est là et c'est top. Et tout ça, sous le petit olivier.
- et à côté de la station essence.



Et voilà. On m'a demandé à quoi ressemblait un réveillon à bord. Et bien, cela ressemble à une bonne soirée avec une bonne amie, avec un bon petit fromage, un bon petit peu de jambon et une bonne lampe frontale. Rien de spécial, et très spécial à la fois. On se fait plaisir. Il est 22h, et je mets l'eau à chauffer.

Veste assortie à la bière: Joe, bobo parisienne.
elle n'est pas belle, la fin de l'année ?
En Espagne, la tradition veut que l'on mange un grain de raisin blanc à chaque coup de minuit. Nous pensions être en mer, et nous avons donc des petits raisins spécial "12 coups de minuit" en conserve (et épluchés), raisins "de la chance". Et quand la cloche de l'église du village a sonné les 12 coups de minuit, nous avons respecté la tradition et mangé 12 grains de raisins chacune. Soit un grain de raisin par "Ding Dong" de la cloche. Sans s'étouffer. Prouesse.

ce soir nous n'avons pas un grain, mais 12.
Tradition espagnole, terre d'accueil... ça, s'est fait.
Et maintenant, passons à la tradition française....
- héhé -
"Champagne!!" (Merci Joe!!!!!! et bravo à l'avion qui n'a pas cassé la bouteille à l'atterrissage)

la première gorgée a été offerte à TaraTari
La deuxième à la Mer, le bouchon au Vent,
Et le reste... le reste.......... . ?
:)

Il est 1h20, les pâtes ne sont pas tout-à-fait-tout-à-fait prêtes mais nous avons faim.

cuisson de 22h à 01h20 : pâtes presqu'al dente.
- "Il n'y avait pas écrit 'cuisson: 10 minutes' sur le paquet ? (Joe a visiblement faim)
- "En fait, le brûleur brûle mal, il faut être patient..."
- "Mais 3h pour faire chauffer de l'eau de pâtes, ce n'est plus de la patience, c'est un régime"
- "Ce n'est pas faux, j'ai maigri"
- "Non, mais sérieux, tu fais comment en mer ?"
- "Tu anticipes. Et à propos: demain matin, tu voudras un café pour le petit dej'?"

Assiette commune en bambou à la lumière de nos frontales, champagne dans une timbale en alu et grains de raisins en conserve.. C'est autour d'un bon plat de pâtes presqu'al dente noyées dans une sauce-soupe au parmesan que nous avons commencé l'année à bord de TaraTari.
L'année 2012 commence bien. Simplement bien.

Et comme le veut la formule de politesse, je terminerai ce petit récit spécial réveillon par :
"TaraTari se joint à moi pour vous souhaiter une excellente année 2012."

Capucine