jeudi 31 mai 2012

il n'est jamais trop tard

En mer. 17-18-19 mai 2012. Au large du Maroc.
- depuis 7 jours en mer; à 340 milles de l'île de Graciosa - Archipel des Canaries.

Le 17 mai. 12h. N33°04' W09°04. Nous prenons un ris dans la grand voile. Le vent se renforce et creuse la mer. C'est assez étrange d'avancer au large sans info météo. Tout peut arriver. Et là, c'est une belle houle qui arrive de l'Ouest. La houle Atlantique... la fameuse.

"Le large! TaraTari mon bon ami, nous y sommes!"

Seule sur le pont,
j'observe la mer.
Qu'elle est belle.

Tout est pourtant bien gris, ce n'est pas joli. Le soleil n'est pas visible à cause de la brume, et peu d'indices permettent de s'orienter. La mer et le ciel sont de la même couleur, même l'horizon a disparu. Certains se sentiraient angoissés sans aucun repère, mais là, à cet instant précis, j'ai l'impression de flotter dans un espace libre. Et cette impression est un plaisir.

22h. Il fait nuit. "C'est quoi ce bruit?" Maxime est inquiet et je sors la tête de la descente. Nous scrutons la mer noire mais nous ne voyons aucun bateau. Une grosse tache noire sur l'eau s'approche à grande vitesse, tout comme le bruit. "C'est quoi ce truc??! Un sous marin?". Il fait nuit et l'instant est assez effrayant: une tache sombre qui nous fonce dessus en faisant un bruit terrifiant. La tache arrive à notre hauteur, à tribord: nous fronçons les sourcils, inquiets, et essayons de comprendre. Grand soupir de soulagement; c'est un banc de dauphins! Combien sont-ils? 50, 100? vu le raffut, ils doivent être bien nombreux! Je note dans le carnet: "croisé armée de dauphins; Pfiou, la trouille."

Le 18 mai. 8h30. N32°12' W10°02. Nous avons relaché le ris, mais le vent s'est clairement établi. Cela fait 8 jours que nous sommes en mer. Les données météo que j'avais avant de partir ne sont plus valables et nous ne disposons plus d'aucun moyen de communication. Les batteries de la vhf portables se sont bien vidées avec tous ces appels aux ports de Casablanca, Mohammedia et aux cargos croisés trop près. Quant à la vhf fixe, elle n'arrive plus à rien car quand le pilote automatique marche, plus aucun autre truc branché sur les batteries ne marche. Ce n'est pas nouveau, j'ai passé les nuits d'hiver dans cette ambiance boîte de nuit, avec un feu de mât qui jouait les stroboscopes à chaque effort du pilote. Impossible donc d'avoir la météo par vhf. Le ciel est assez inquiétant, très nuageux. C'est peut-être le moment de sortir la radio BLU que m'a prêtée Antoine Debled. RFI n'émet plus de bulletins météo, mais si une énorme tempête devait nous tomber dessus, les radios en parleraient peut-être.

"ggggrregzrbbtrhbhizzzzhhhhhthrertttttt" dit la radio
"Tire la chevillette et la bobinette cherra"- je suis la formule: je tourne la petite molette et la chansonnette sonna! Nous sommes assez loin des côtes, on ne reçoit pas grand chose. Et puis finalement, je tombe sur une fréquence d'ondes audible: de la musique orientale super belle! C'est excellent! Tara Tari qui avance en dandinant sa coque... ambiance danse du ventre dans la houle Atlantique! Sexy Tara Tari!


♪ ♫ ♪♪ ♫♫
Volume à fond.
Grand moment de musique.
- je note dans le cahier "18 mai: fête de la musique"

18h. N31°49' W10°02. à 237 milles de l'arrivée.
J'ai changé les piles de ma frontale et du GPS. L'air est frais tout est gris mais tout est beau. je note dans le cahier :"TaraTari est magnifique. Je ne sais pas pourquoi je me sens si bien, je rigole toute seule et pourtant je n'ai pas bu".

20h. "Tout était gris mais des nuages se déchirent: retour des couleurs dans le ciel pour la première fois depuis 4 jours. Le coucher de soleil est féérique." ai-je noté dans le petit cahier.
Un des grands plaisirs qu'offre le large.
Assise sur la dérive au vent, alors que Tara Tari file vite et bien; je contemple.
Le spectacle dure une bonne heure et le ciel change à chaque instant. 

un instant
un autre instant
un autre autre instant
Nuit du 18 au 19 mai. 3h37. Maxime est de quart et me réveille: d'étranges feux de navigation sont à notre avant bâbord. Avec la houle, c'est assez compliqué de distinguer leur signification: la houle donne un effet clignotant: on voit les feux, on ne les voit plus, on voit les feux, on ne les voit plus. Grâce aux jumelles, je distingue deux feux, vert et blanc, en alignement vertical. Je vérifie dans un petit cahier de notes; il s'agit d'un navire en pêche de plus de 50 mètres. Il a de gros projecteurs sur le pont, qui n'ont pas aidé à distingué son signalement. Et puis, toujours grâce aux jumelles, nous arrivons à distinguer un feu rouge: c'est bon, il avance et pas sur nous. La nuit en mer, les feux de navigation sont la seule manière de repérer un bateau, savoir de quel genre de bateau il s'agit est important: ce bateau en pêche ne bouge pas beaucoup et ne doit certainement pas être très manoeuvrant, à nous de prendre nos précautions pour ne pas être sur sa route.

5h30. Tara Tari avance à 4 noeuds, le vent se renforce. Nous sommes sur la même amure depuis plusieurs jours, ça me change de la Med! Mais le bateau a tendance à lofer, je dois donc abattre de 10° pour rester sur la route. Je suis très concentrée sur la route à suivre.

et toujours faire le point
De nombreux cargos tout autour de nous; nous passons la nuit avec le compas de relèvement devant l'oeil, pour surveiller et calculer la route des cargos. Dans le journal de bord, je note le relèvement effectué toutes les 5 minutes. La méthode est bien efficace. La nuit se passe sans problème, mais sans beaucoup de repos.

compas de relèvement

19 mai. 7h30. N31°24 W10°48. à 204 milles de l'arrivée.
Le jour arrive et va nous faciliter le repérage des cargos un peu trop nombreux à mon goût.

9è jour en mer depuis Gibraltar et déjà 6 mois de vie à bord de Tara Tari
Tara Tari toujours en plein forme. Pas d'avarie majeure à déplorer: pendant les journées sans vent, j'ai essayé de nettoyer le pauvre petit DjianDong noyé dans la bataille de Gibraltar, mais il faudra attendre d'être à terre pour le re-refaire vivre. C'est le seul vrai problème du moment. L'eau ne rentre pas trop: j'ai resséré le presse-étoupe qui gouttait un peu trop. Ne pas écoper autant que cet hiver me change la vie à bord! bien contente que la réparation faite avec Coco à Gibraltar tienne le coup!

8h. je note dans le cahier "vague vue dans le ciel!"

très "Quiksilver" ce nuage
vous ne trouvez pas?

8h40. Plus que 200 milles nautiques! youhou!
Quelques dauphins viennent fêter ça.


10h. Le ciel bleu est de retour!! youhou! - again.


Les nuages sont complètement superbes. Cours de météo grandeur nature.
je note dans le carnet: "Ce matin lecture du ciel: révision de la signification des nuages"

11h30. On se prend un grain: le vent se renforce logiquement et nous prenons un ris dans la grand voile.

19h35: La journée se passe vite et bien. TaraTari fonce à 5,5 et accélère encore.
Pas envie de cuisiner, ce soir ce sera repas lyophilisé.


Enfin voilà.
Rien de bien folichon dans le descriptif de ces nouvelles journées en mer pendant lesquelles Tara Tari a bien avancé à 4 ou 5 noeuds, pendant lesquelles les cargos, les nuages, la houle i tutti quanti nous ont bien occupés.... 

Cependant, j'ai une confession à faire.

J'ai - il me semble - oublié de préciser à Maxime en lui tendant son petit sachet - dîner du soir, que ces délicieux repas récupérés auprès d'amis navigateurs étaient peut-être un peu périmés.

Pasta Bella Italia
Mais après digestion et malgré la houle qui nous a ballottés toute la nuit, je peux affirmer que les pâtes Bella Italia qui expiraient le 25 février 2010 sont toujours comestibles le 19 mai 2012.

Voilà, c'est dit.
Désolée, Maxime, je n'ai pas su trouver les mots.

C'est important de dire les choses.
Et comme pour les pâtes au fromage, il n'est jamais trop tard.

vive la récup' !
Capucine


mardi 29 mai 2012

solutions moralement efficaces

En mer. 14-15-16 mai 2012. Toujours au large de Casablanca...

Le 14 mai. 14h. N33°43' W007°34'. A 5 noeuds vers le Sud Ouest: il ne fallait pas rêver, ce vent parfait n'aura duré que le temps de nous éloigner de Mohammedia et du Cap Fédala. Il n'y a plus de vent et nous nous retrouvons de nouveau à l'arrêt devant Casablanca. Nous y passons une bonne partie de la journée. Et la nuit entière aussi. Nous essayons d'aller chercher un peu de vent au large des lumières et des prières de la ville. Quelque chose me dit que la route va être longue. La pétole: situation moralement inefficace n°0.

Rythme de vie à bord, rythme des quarts: nous avons assez vite trouvé le bon tempo. Peu après le coucher du soleil, nous nous relayons toutes les 2 heures; ça se tient dehors et ça laisse surtout un bon moment de repos à celui qui dort. Le rythme est venu assez naturellement, en fonction des besoins de sommeil de chacun . Lors des transitions de quarts, nous ne sommes pas très bavards: un point sur la route, sur les cargos et pêcheurs à surveiller et hop au dodo. A chaque relève, je note dans le journal de bord notre position, cap, allure, et autres commentaires sur la navigation: force approximative du vent et direction, visibilité, état de la mer, manoeuvres effectuées, navires sur zone, petit bricolage  sur le bateau etc. La répartition grosso modo des quarts de nuit? Cap 22h-minuit; Max 00h-02h; Cap 02h-04h; Max 04h-06h; Cap 06h -.. lors de ces nuits de calmes, j'essaie de laisser Maxime dormir jusqu'à ce qu'il se réveille tout seul parce que j'apprécie ces moments un peu seule à bord. Toutes les nuits le début des quarts change en fonction de la fatigue de l'un ou de l'autre. Pas d'horaires fixes à bord, on s'adapte mais il y a toujours l'un de nous dehors.

Nuit du 14 au 15 mai. je note dans un autre petit cahier: "4h05: pas de vent. un croissant de lune rouge s'est levé sur Casablanca mais vite caché par la brume. Les étoiles sont aussi cachées derrière l'épaisse brume. Nuit un peu longue. La fatigue: situation moralement inefficace n°1".

un peu fatiguée au lever du soleil. sourire forcé n°1
Le 15 mai. Il est 7h du matin et nous n'avançons toujours pas très vite. Un petit oiseau est venu se reposer à bord et me tient compagnie pendant deux heures. C'est un petit Serin Cini, cousin du Canari  que l'on distingue par ses ailes grises. Je suis très fatiguée et trouve ça sympa, un Canari à bord: comme s'il venait nous encourager à aller aux îles dont sa famille est originaire. Il est super bavard, chante plutôt dans les aiguës: "entre ton ton de voix et tes plumes jaunes: c'est pas très viril tout ça." Je lui offre un peu de pain et il boit l'eau douce de l'humidité nocturne qui forme une mini-mini flaque, à l'avant sur le pont. Il passe une heure à l'avant et puis, peu farouche, il est venu se poser sur ma jambe pour picorer encore quelques miettes de pain. Un petit oiseau est un super compagnon de petit temps.

un petit Serin Cini à bord de Tara Tari, le 16 mai 2012
Je note dans le cahier: "15 mai. Lever de soleil en compagnie du petit oiseau. nous avons le même ciré jaune plein de sel et avons tous deux l'air fatigué. Déjà loin des côtes. L'oiseau s'est envolé vers l'Ouest, vers le large. En zone de calmes, un petit oiseau de gaieté est une solution moralement efficace. Solution n°1."


8h. Le vent est complètement tombé et moi je tombe de fatigue. Maxime vient me remplacer. Joie. La relève: solution moralement efficace n°2.


Mais un peu avant 9h, il me réveille: "Capucine, sors vite! un cargo nous fonce dessus!" En cas de danger possible, nous devons être tous les deux sur le pont - autre règle de sécurité. Nous ne pouvons pas bouger vite, j'attrape les jumelles pour bien lire son nom écrit sur sa coque, et le contacte par vhf, il ne répond pas mais modifie un peu sa route et passe devant nous. Merci monsieur ou madame le capitaine de l'Atlantis Pride! Petit stress. Le cargo dans la pétole: situation moralement inefficace n°2.

l'Atlantis Pride
10h. On m'avait mise en garde contre le vent fort fréquent le long des côtes marocaines et nous sommes pourtant toujours complètement collés. Le vent ne souffle pas et nous, nous soupirons. Nous ne voyons à cet instant plus qu'une solution moralement efficace: la solution n°3:

Les rames offertes à Marseille! (voir archives novembre)
Maxime filme en annonçant la séquence par un panneau qu'il a écrit : "Casablanca - Les Canaries à la rame, ils le font". Dire que cela nous a fait beaucoup avancer serait un peu trop "marseillais" justement, mais de 0 nous avançons désormais à une vitesse -extrême- de 1 noeud. Nous ramons et nous nous rappelons de notre journée de rame devant Sète... je n'avais pas eu à réutiliser les rames depuis cette journée de novembre.

Il faut boire régulièrement. A cette latitude, le soleil ne fait pas semblant d'être une boule de feu. Chaleur écrabouillante: situation moralement inefficace n°3.  

 un peu chaud. sourire pas forcé n°1.

"Et si on se baignait!?" je suis sur le point de me jeter à l'eau quand soudain :

 
"Et si on ne se baignait pas?!"  je me reprends vite. Un banc de méduses flotte autour de Tara Tari; pas envie de savoir si elle font un peu mal ou très mal.
Les méduses: situation moralement inefficace n°4.


17h30. Constat de l'équipage: après 5 jours en mer, une petite douche s'impose pour enlever de nos peaux un peu de sel, de soleil et de crasse. Chacun à notre tour allons sur le pont devenu salle de bain à ciel ouvert! quel luxe. Lavage à l'eau de mer, rinçage avec un tout petit peu d'eau douce. je note dans le cahier :"journée qui sent bon le savon, tout va bien". C'était la solution moralement efficace n°4.

19h. Comme tous les soirs depuis que nous sommes dans cette zone de calme, je m'applique à la solution moralement efficace n°0 (elle ne date pas d'aujourd'hui):

Offrande à la noix, ou plutôt aux dieux du vent
Corentin ouvrait des noix de coco en "offrande aux dieux du vent". N'ayant pas de noix de coco à bord, j'ouvre donc des noix tout court avec le mince espoir que cela puisse marcher quand même. Quand je lui ai parlé de mes offrandes à la noix, enfin aux dieux du vent, Coco m'a dit "oulala, moi à la place des dieux du vent je hausserais les épaules, lèverais les yeux au ciel et soupirerais! Ils vont prendre ça pour de la rigolade, ta petite noix tout court!" Et bien qu'à cela ne tienne: un soupir du vent, c'est exactement ce que j'espère en retour! j'ouvre plein de noix - ils sont peut-être nombreux, ces dieux-là. Je note dans le cahier:  "Ce soir, 3 des noix-offrandes étaient pourries, j'ai un doute quant au retour du vent".

Le 16 mai. 10h15. N33°33 W08°25. Une barque s'approche et nous n'hésitons pas trop : nous leur demandons de nous aider en nous remorquant un peu. Entre bateaux de pêche, on se doit bien ça! Nous avons besoin d'avancer; c'est important pour le moral. Les pêcheurs marocains à bord de petites barques viennent régulièrement nous voir, pour nous saluer et nous proposer du poisson frais. C'est super sympa bien que cela nous semble fou qu'ils soient en barques à 50 milles des côtes!
Maxime prépare les bouts en pattes d'oie pour le remorquage, j'affale les voiles et file mettre un pantalon. Question de respect de cultures; je ne veux pas choquer en étant les genoux à l'air. Nos amis ne parlent ni ne comprennent ne serait-ce qu'un mot de Français et nous ne parlons pas Arabe. Ils ne s'adressent qu'à Maxime - qu'à l'homme. Je reste à la barre et reste dans le sillage de la barque. Nous évoquons la possibilité d'aller au port de pêche où ils se rendent.


Maxime me dit que ça l'embête de me laisser seule dans ce petit port de pêche vers lequel ils nous emmènent et je lui propose de monter à bord de la barque pour rejoindre le Maroc et prendre son avion sans que je n'aie à m'arrêter. Mais l'idée ne le convainc pas: "que diraient les douaniers si j'arrivais ainsi". Il est ok pour continuer vers les Canaries, alors nous ne changeons pas nos plans.
A bord de la barque, les trois hommes allument un feu à l'essence et préparent un thé. La scène est assez surréaliste; leur feu est à quelques centimètres de leur réserve d'essence et du petit moteur. Nous profitons d'une risée pour leur dire que nous allons continuer à la voile. Maxime leur donne un petit billet pour le dépannage et nous renvoyons la toile. L'épisode remorquage a été l'occupation de la matinée. La tête de Tara Tari n'a pas trop surpris nos amis pêcheurs: ce sont bien les premières personnes que je vois qui n'ouvrent pas des yeux grands comme ça devant l'aspect un peu "récup et toile de jute" du bateau. Les voiles sont hissées et nous voulons croire que nous allons repartir. Le vent est de secteur Sud Ouest: impossible de faire route directe. Et en plus, il est nul. enfin inexistant, on se comprend. Patience, patience. Je prépare du thé à la menthe. Pour faire "local".
Le remorquage : solution moralement efficace. Le remorquage qui ne sert à rien : situation moralement inefficace. - l'un annule l'autre: hors compte.

15h. N33°29'235'' W08°29'100''. Notez cette position bien précise: c'est un super spot de pêche! Des maquereaux partout! Le vent revient enfin un tout petit peu et dans la bonne direction. A 3 noeuds, nous pêchons sans souci. Maxime appelle cette espèce de poisson"maquereauquain". je vous laisse comprendre le jeu de mots aussi local que le thé à la menthe. La pêche, solution moralement efficace n°5.

trop gros pour nous, ce poisson-là retourne à l'eau!
16h. Cap au 230°: nous avançons enfin - bien que doucement - sur la route directe! Et c'est la fête des maquereaux. 7 prises en une heure! Nous pêchons mais relâchons les prises trop petites ou trop grosses: nous ne garderons que 2 poissons: un pour le dîner et l'autre pour le sandwich du lendemain - comme ça, vous savez tout. Maxime a bien rigolé parce que j'ai été incapable de tuer le premier poisson que j'ai remonté à bord et il est retourné à l'eau en me glissant des mains. Pêcher un poisson qui va servir de dîner signifie qu'il faut, avant de le mettre dans la casserole, lui planter un couteau derrière la tête et une fois que l'on a fait ça, le pont ressemble à une scène de crime: du sang partout! Les mains pleines de sang, je faisais moins la maligne deux minutes avant de m'être lavé les mains et de poser pour la photo du trophée dinatoire. Assassiner un poisson: situation moralement inefficace n°6.

après assassinat du poisson. sourire forcé n°2 
Nous sommes visiblement dans une zone de pêche: sans parler de nos prises, il y a des chaluts partout. Il faut voir l'état des bateaux. "Tant que ça flotte, ça pêche!" c'est ce que je me dis en regardant les bateaux qui nous entourent. J'ai une grande admiration pour les pêcheurs, en Bretagne en Espagne, au Maroc ou ailleurs, je pense qu'ils font l'un des métiers les plus durs au monde.

en pêche
Le poisson frais est un régal qui me fait oublier mon acte criminel, un régal que je cuisine comme je peux avec mon petit réchaud à gaz et ma petite casserole, un régal qui a été un vrai régal. Je note dans le cahier "20h: super bon dîner!" - commentaire simple mais explicite.
Entre les pêcheurs-remorqueurs, nos maquereaux, et le spectacle des chaluts en pêche, nous avons oublié que nous avançons trop doucement le long du Maroc: j'ajoute dans le cahier "16 mai: thématique pêche."

A Marseille, Anaïs (amie officier de marine marchande) qui a l'habitude des longs séjours en mer m'avait conseillé d'embarquer des bonbons. A Alicante, Yannick (ami de Bretagne venu me voir) a apporté un sac entier de mini-Carambar que je n'ai pas encore ouvert. Il est temps de suivre le conseil d'Anaïs. Un mini Carambar en dessert = lecture de la (super) blague écrite sur l'emballage.


Les blagues Carambar: solution moralement efficace n°6.
NB: Quand nous en sommes à considérer les blagues Carambar comme une solution moralement efficace, c'est que l'heure est grave.

Nuit du 16 au 17 mai. 1h30. La nuit est terriblement humide, et nous n'avançons terriblement pas. Brume, pas d'étoile, pas de lune, pas de vague. J'aurais presque envie qu'un cargo surgisse de nulle part pour mettre un peu d'action dans cette veillée.
NBn°2: Quand nous en sommes à espérer croiser un cargo de près, c'est que l'heure est -vraiment- très grave.


C'est pénible. Je suis de quart et il ne se passe rien,"quand soudain", je vois Maxime qui sort par le hublot avant et qui s'avance rapidement comme un funambule vers l'arrière du bateau!
- "Tout va bien, Maxime?" je ne comprends pas trop ce qu'il se passe.
Il est dans un demi-sommeil! Un brin somnambule, le Maxime? cette nouvelle donnée m'inquiète: il va falloir qu'il s'attache quand il dort, car ça pourrait être dangereux cette histoire! Les imprévus rodent mais j'aurais préféré le cargo-surprise. Cette nuit, pendant mes quarts de sommeil, je ne dors pas très sereinement et me réveille plusieurs fois en demandant "tout va bien dehors?" alors qu'il n'y a pas de raison valable d'être inquiète puisque Maxime est bien éveillé. L'angoisse n'a parfois rien de rationnel. Cette anecdote est la situation moralement inefficace n°6.


Je prends mon dernier quart à 4h et laisse Maxime dormir jusqu'à son réveil. Calée dans la descente pour ne pas être trop trempée par l'humidité, je termine de lire "L'expédition du Kon Tiki". Super livre qui me donne envie d'aller naviguer vers les îles du Pacifique. A Gibraltar, quand j'avais dit à mes parents quelle était ma chouette lecture du moment, mon père m'a raconté que, quand il avait 12 ans, fasciné par l'aventure norvégienne, il avait fait une maquette, parfaite réplique du radeau en balsa! Que mes parents ne me demandent plus de qui je tiens! Une pensée en entraîne une autre. Je pense à mes parents: à cette si petite vitesse nous n'arriverons que dans très longtemps dans les îles et comme je n'ai aucun moyen de communication ni aucune balise de suivi à la trace du bateau, j'ai peur qu'ils s'inquiètent bientôt. "Que pensent-ils, sans nouvelle, à terre? Comment les rassurer?" Penser à l'inquiétude de ses parents: situation moralement inefficace n°7.

arrivée du 17 mai, le jour où tout va changer.... (assurer le suspsense..)
J'hésite à envoyer un message dans une bouteille qui pourrait atteindre les côtes marocaines avant notre arrivée aux Canaries. Mais ça me fend le coeur de jeter une bouteille dans l'eau. L'océan est assez sale comme ça et je n'ai pas la certitude que le message arrivera à bon port. Avec cette légère conscience écologique qui s'ajoute à mon inquiétude des états d'âme de mes parents, je me retrouve vraiment dans une situation moralement inefficace.

Le 17 mai. 9h. N33°04 W09°04. Nous buvons un bon café chaud, papotons et apprécions notre vitesse qui atteint enfin les 3 noeuds. je pars dormir vers 10h30; une heure plus tard, je me prends un sac de vêtements dans la figure! Je ne râle pas car le sac au vent qui me tombe dessus est une solution moralement efficace qui signifie que vent est arrivé! Tara Tari file à 5,2 noeuds! je lance à tue-tête un "Yahoo!" - j'allais crier "youpi" ou "youhou", mais l'occasion était trop belle pour rendre hommage à mon éditeur et mes écrits sur Yahoo! qui attendent patiemment mon retour!

7ème jour en mer et nous avons la pêche.
Yahoo! le sac qui me tombe dessus en plein sommeil: solution moralement efficace n°7.
Le compte est bon.
Capucine

lundi 28 mai 2012

Les lumières de Casablanca

En mer. le 11-12-13-14 mai 2012.

- "Maxime, je viens de parler avec Gérald (météo Greatcircle): il dit que nous pouvons nous arrêter à Larrache ! héhé plutôt comique comme nom de port, tu ne trouves pas?"
Ça, c'était un peu après le passage du Cap Spartel. L'idée de nous arrêter était apaisante et reposante mais les milles défilent à bonne allure sous la coque de Tara Tari et nous aident à digérer un peu ce que nous nous sommes pris dans la figure dans le détroit et nous décidons de continuer notre route.
A terre, en préparant la nav, j'avais envisagé d'aller assez vite au large, en route directe vers les îles Canaries; d'après les fichiers météo, le vent nous y pousserait assez vite à une force de 15 à 20 noeuds: conditions idéales.

Le 11 mai. Près des côtes du Maroc.
Le soleil est bon, il fait même chaud et nous avançons au portant, les voiles en ciseaux dans un vent agréable. En ce deuxième jour en mer, nous avons enlevé les ris de la grand voile et nos cirés. Installé à l'ombre de la grand voile, Maxime est dans ses pensées.

Maxime
Ça a n'a pas l'air d'aller fort. Nous parlons un peu.
Gibraltar, c'était un peu violent pour un début de nav'. Maxime est en vacances, il débarquait de l'avion et s'est retrouvé dans un tambour de machine à laver quelques heures seulement après son arrivée. Il ne s'attendait pas à une navigation si usante, Tara Tari n'est pas un bateau confortable et comme il doit reprendre le boulot dans 10 jours, il préfère débarquer avant d'arriver aux Canaries pour rentrer en forme, ce que je comprends tout à fait. C'est une des règles à respecter en mer: naviguer est un plaisir, quand le plaisir s'en va, continuer est une erreur.

Voyons la carte.

Nous nous mettons d'accord: nous irons jusqu'à Casablanca. De Casa, il sera facile pour Maxime de prendre un avion pour la France, nous aurons avancé un peu et puis cela me donnera l'occasion d'aller voir ma bonne copine d'études, Siham, que je n'ai pas vue depuis des années. Aller à Casablanca est une décision qui nous convient bien à tous les deux et nous changeons donc notre route, calculons le nouveau cap à tenir. Nous pouvons y être demain ou après demain.

Nouvelle route: cap sur Casablanca!
L'ambiance est plutôt bonne à bord et peu à peu nous nous remettons de nos émotions gibraltariennes.
Le vent mollit tranquillement, mais nous avançons.
Maxime lit l'Alchimiste. Je le vois sourire - jaune.
- "qu'est ce qu'il y a ?"
Il me lit l'extrait:
- "Le berger savait que l'Afrique n'était pas si loin: de Tarifa, il n'avait qu'à traverser le petit détroit en bateau pour arriver sur le continent africain" Maxime se marre "vu comme ça, ça à l'air un peu plus facile que dans la réalité! j'aurais aimé le voir, le petit berger, hier dans le petit détroit!"

La vie du bord se met en place. L'un se repose à l'intérieur, l'autre veille sur le pont; nous prenons nos repas ensemble dehors. On vit avec le soleil, et profitons de ses derniers rayons pour dîner. Les nuits sont beaucoup moins froides que cet hiver, mais elles sont très humides alors j'apprécie toujours autant l'arrivée du soleil, le matin.

Lever de soleil
Le 12 mai. Nous sommes au large de Rabat et n'avons aucune info météo. Le vent s'en est allé et DjianDong, noyé dans le détroit, ne veut pas démarrer. Il fait des bulles: de l'eau sort part le pot d'échappement! Pauvre djiandong! Prendre son mal en patience, je suis habituée. Régulièrement je vérifie notre route grâce au petit gps; nous sommes sur la route, c'est déjà ça, mais à cette vitesse, arriver à Casablanca sera aussi long que si nous avions fait une route directe vers les îles.

à 0,5 nœud de moyenne, l'arrivée à Casablanca semble encore loin.
Il faut absolument que l'ambiance reste bonne à bord. Après le coup de tabac dans le détroit, nous voici pris au piège des calmes: les voiles faseillent et le moral des troupes pourrait bien en faire autant si cela continue comme ça. Cela fait six mois que je vis avec TaraTari et la pétole ne me dérange pas trop, je lis et m'occupe mais je me demande si Maxime va supporter cette nouvelle épreuve? Sans vent, nous n'avançons pas d'un plancton. Je me sens responsable de l'ambiance du bord et j'essaie donc de soigner cet aspect là de notre navigation. Il faut bien se nourrir et bien se reposer pour garder la pêche. Quelques fruits frais ont survécu à la bataille de Gibraltar, un délice plein de vitamines qui fait du bien - je suis pour la paix mais surtout pour les fruits dans le monde :) Nous parlons aussi car c'est important de ne pas taire les contrariétés, pour éviter l'implosion. Nous prenons un rythme qui nous correspond et tout se passe bien. Et la bonne nouvelle: le pilote automatique refonctionne grâce à un nettoyage sérieux de la prise située sur le pont.
sur la route
Le 13 mai. J'apprécie les moments seule sur le pont. Je parle à voix basse à TaraTari. je suis si heureuse que nous soyons enfin arrivés en Atlantique! A cet instant, je me fiche pas mal de la pétole, je savoure. Bien installée à ma "place de princesse", tout à l'arrière, je bouquine et surveille les pêcheurs autour de nous. Au petit matin, la température est fraîche et c'est bien agréable.

lecture matinale
Il est 15h et nous passons devant Mohammedia et il ne nous reste plus qu'une dizaine de milles pour arriver à Casa. Mais le vent n'est toujours pas revenu et cela nous semble interminable. J'ai l'impression que Maxime vit de mieux en mieux la pétole, il est à fond dans ses dessins et ça fait plaisir à voir.

au large de Mohammedia
Nous luttons comme nous pouvons contre la chaleur écrasante de la journée. Pas un coin d'ombre à bord; à La Ciotat j'avais embarqué un parapluie trouvé dans une poubelle du port, mais ce parapluie-là est resté dans une poubelle de Gibraltar car je ne pouvais plus l'ouvrir à cause de la rouille. C'est idiot car c'est maintenant qu'il aurait été utile.

Bientôt à Casablanca
En fin d'après midi, nous fêtons notre arrivée prochaine à Casa, avec un peu de saucisson et quelques amandes grillées. Mais le vent est toujours bien mou. Nous sommes proches de la côte et les appels à la prière s'entendent à bord. L'Espagne semble loin et je réalise être en plein voyage.

Le soleil s'est couché et nous avançons péniblement vers les lumières de Casablanca, aux rythmes des prières que nous écoutons de plus en plus clairement.

Casablanca
Il y a des cargos partout, et nous sommes tous les deux sur le pont, concentrés et attentifs au moindre feu mouvant. C'est assez impressionnant tous ces cargos, et je stresse un peu car sans vent nous ne sommes pas très manoeuvrants. Je reste à l'avant, jumelles aux yeux.

au milieu des cargos, en approche de Casablanca
Nous sommes super heureux d'arriver. Entre deux cargos, nous essayons d'imaginer la ville dans laquelle nous n'avons jamais été et que nous longeons depuis des heures maintenant. "On ira se manger un bon tajine avant ton avion!" On se parle comme si l'au revoir était pour bientôt et faisons une photo de notre petit équipage en souvenir de cette nav assez exceptionnelle.

photo d'équipage devant Casablanca, le 13 mai 2012
Il est 1h du matin, et nous sommes désormais dans le chenal d'entrée du port de Casablanca. Nous sommes quasi à l'arrêt à cause du vent inexistant, et c'est assez délicat car les cargos vont et viennent. Nous nous mettons sur le bord extérieur du chenal et je contacte le port par vhf. Et là surprise.
- "Veuillez épeler le nom de votre navire s'il vous plaît"
- "Tango Alpha Roméo Alpha  Tango Alpha Roméo India"
On m'interroge: pavillon du bateau, nombre de personnes à bord, nationalité de l'équipage, longueur et tirant d'eau du navire... tout cela prend un bon moment pour finalement entendre :
- "La marina est fermée, vous ne pouvez pas entrer. Vous devez aller à Mohammedia, à 11 milles nautiques au Nord Est de Casablanca: si vous ne pouvez pas, je trouverai une place dans le port de commerce."
Je regarde Maxime, nous sommes un peu dépités. A la vhf, la voix s'impatiente:
- "Vous pouvez aller à Mohammedia: affirmatif ou négatif?"
- "Affirmatif! Nous allons à Mohammedia."

Et nous voilà repartis à l'opposé de notre route, au Nord Est! Et dire que nous sommes passés devant Mohammedia en début d'après midi! Sans vent, ça va nous prendre la nuit! Nous sommes vraiment déçus mais sans broncher nous poussons la barre et nous éloignons des lumières de Casablanca.

Le 14 mai. Il est environ 10h du matin quand nous arrivons dans le chenal de Mohammedia. Un cargo manoeuvre devant nous, je prends la vhf et contacte le port. Même process qu'à Casa: 
- "Veuillez épeler le nom de votre navire s'il vous plaît"
- "Tango Alpha Roméo Alpha  Tango Alpha Roméo India"
On me pose exactement les mêmes questions et je réponds avant de demander la position exacte de la marina. On me répond de manière peu chaleureuse:
- "N'entrez pas! Nous sommes occupés: un cargo manoeuvre et vous devez le laisser faire. Attendez nos instructions; je répète: n'approchez pas."
Ça commence à bien faire. Cela fait bientôt vingt minutes que nous tournons devant l'entrée du port et toujours pas de nouvelle. Le vent se met à souffler et je n'ai qu'une envie: repartir vers le large. Maxime est au téléphone, raccroche et me dit: "bon bah je n'ai plus de contraintes de boulot..."
On se regarde et nous sommes donc d'accord: Cap vers le large! Nous repartons vers les Canaries!

Escale impossible au Maroc: cap sur les Canaries!
Grâce au vent revenu, nous filons à 5 noeuds vers le Sud Ouest.
Dans cette histoire, nous avons fait un aller retour d'une trentaine de milles pour rien. Nous repassons un peu au large de Casablanca. Avant d'être trop loin des côtes, j'utilise le dernier souffle de batterie de mon téléphone pour prévenir mes parents: "Bonjour maman! Tout va bien! Nous avons essayé de nous arrêter au Maroc mais faisons désormais route vers les Canaries; ça va être assez long, tout va bien ne t'inquiète pas. Je ne pourrai plus donner de nouvelles avant l'arrivée!" Maman me demande si nous avons assez d'eau et je la rassure, j'avais prévu large. La conversation ne dure qu'une minute. Maxime prévient aussi ses parents et nous voilà en route vers le large.

Bientôt 5 jours en mer et nous avons encore plus de 450 milles à parcourir avant d'arriver dans l'archipel des Canaries. Le moral est bon à bord: cette nouvelle décision et le vent revenu revigorent nos ailes oranges.
Capucine

dimanche 27 mai 2012

Le bon présage

Au large du Maroc. le 10 mai 2012

Le vent semble se calmer un peu, mais la mer reste bien formée. La barre est assez dure et j'aurais apprécié un peu de répit. Maxime dort à l'intérieur. Il n'est pas encore 10h du matin, je n'imaginais pas que nous aurions été si rapides, la traversée a semblé longue, suffisamment longue. Le soleil brille, sèche mes vêtements et me réchauffe un peu, je ne grelotte plus. A la barre de Tara Tari, je commence à réaliser que nous sommes enfin arrivés dans l'océan Atlantique. L'air est plus chaud et une bonne odeur de terre arrive à bord. Odeur des terres marocaines, c'est agréable en mer de sentir la terre. 
Quelques rafales auraient pu me faire râler un peu, "allez, soit cool, l'océan, calme toi un peu!" Et alors que je n'ai pas encore décidé si j'allais râler ou pas, une cinquantaine de dauphins surgit soudainement autour de Tara Tari!

Ils sont magnifiques. Enfin ils sont certainement comme tous les autres dauphins, mais ils sont si nombreux, si enthousiastes qu'un sourire vient gommer ma grimace de ras-la-coque-les vagues. Ils doivent être en chasse: ils sautent haut au dessus de l'eau, plus haut que les chandeliers de Tara Tari! Le spectacle est magnifique! Ils m'éclaboussent! Le bon côté d'être si bas sur l'eau! Ils jouent avec l'étrave, se dandinent à toute vitesse sous la coque, vont, viennent, repartent et reviennent. Je ne sais plus où donner de la tête. J'appelle Maxime, mais il dort profondément. Je n'ai pas l'appareil avec moi, et la mer est trop agitée pour que je puisse laisser la barre se débrouiller toute seule; nous repartirions au lof à la première occasion. Tant pis, "c'est pour nous, TaraTari! Merci les dauphins!" Ils fêtent notre arrivée en Atlantique, j'en suis sure. Comme nous avons une bonne vitesse, ils n'ont pas le temps de s'ennuyer; ils nous accompagnent 45 minutes et je n'en perds pas une éclaboussure. Les marins ont l'habitude de voir les dauphins, mais on ne se lasse jamais de leur show quand ils viennent s'amuser avec la coque.

Et puis le vent et la mer se détendent enfin. Nous sommes au portant et tout va bien. A l'avant du bateau sur la ligne de vie qui sert de renvoi de barre (pour barrer depuis l'étrave) un drôle d'oiseau vient de se poser. Je suis toujours assise à la barre, tente de me mettre un peu sur le côté pour faire sécher mon pantalon et mes fesses par la même occasion.

Il m'intrigue cet oiseau! D'où sort-il? nous sommes assez loin de la côte. Je le regarde sans bouger. Au portant, le foc ne tient pas vraiment en place, hésite entre une amure ou l'autre. Et à chaque hésitation de la voile, le pauvre oiseau est décoiffé. L'oiseau est une huppe fasciée. Drôle de nom, il n'a pas dû pouvoir le choisir, pauvre bête. Mais plus drôle encore que son nom, est la scène qui se déroule sous mes yeux: il porte une crête sur la tête, alors la voile en passant dresse son étrange mèche. Plus de 20 fois, l'oiseau se décoiffe et se recoiffe au passage de la voile. On dirait un petit jeu entre eux. "même pas mal" l'oiseau ne bouge pas, les pattes posées sur le bout, complètement indifférent aux taquineries du petit foc.
Huppe Fasciée à bord de Tara Tari
La Huppe Fasciée (je mets des majuscules car c'est son nom) est un oiseau plein de symboles. La Huppe Fasciée est une protection contre le mal. Les Africains se servent de ses plumes comme talismans contre le mal; les Egyptiens ont fait de cet oiseau un hiéroglyphe que l'on retrouve aux pieds de certaines pyramides; le Coran dit que le "hudhud", la Huppe, était messagère entre le Roi Salomon et la Reine de Saba, et qu'elle est protectrice contre le mauvais oeil; et c'est aussi un oiseau reconnu comme oiseau national de l'Etat d'Israel. En France, je sais qu'on dit surtout que son nid est une puanteur.... je préfère me référer au point de vue Africain.

Un oiseau qui symbolise la protection contre le mal, posé sur la ligne de vie de Tara Tari, je trouve le symbole heureux. Une petite heure plus tard, l'oiseau s'envole. Un peu plus tard, toujours seule sur le pont, je me déplace à l'avant, barrant avec le bout sur lequel se tenait la Huppe.. Et je découvre alors posée sur le pont de jute et sous le bambou amarré, une petite plume. Une plume de Huppe, talisman reconnu par certaines cultures africaines. Elle aurait eu le temps de s'envoler en profitant des risées matinales, mais non, elle est là. J'ai passé beaucoup de temps dans un village de brousse au Burkina Faso, je sais que les talismans ne sont pas pris à la légère. Alors je prends la petite plume et la place délicatement dans mon carnet. Je regarde le ciel où vole l'oiseau et l'Afrique, et remercie la Nature pour ce que je prends comme un doux présage. Présage, manifestation des dieux, quels qu'ils soient, sur l'avenir.

la petite plume offerte par la Huppe Fasciée
On dit les marins superstitieux. Je ne sais ni si je suis un marin ni si je suis superstitieuse, mais je prends cette plume comme un petit trésor. Comme la prière d'Angel, à mon départ de Gibraltar: il faut prendre ces bonnes intentions que la vie nous propose, quelles qu'elles soient. Tout simplement.

Une plume d'oiseau,
Tel est notre cadeau,
Un bon présage
à notre arrivée dans l'océan Atlantique.

Être attentif aux signes,
c'est important.
Capucine

samedi 26 mai 2012

Dans le détroit de Gibraltar...

Détroit de Gibraltar. nuit du 9 au 10 mai et 10 mai 2012. En mer.

Agréable surprise: Maxime Dreno, mon équipier du Golfe du Lion arrive vers 18h à La Linea! Moi qui idéalement souhaitais traverser en double le détroit de Gibraltar connu pour être "dur", je ne pouvais espérer mieux à quelques heures du départ. Cela étonne les gens du port, mais j'ai prévu un départ dans la soirée, dès que la marée commencera à descendre. J'ai bien préparé ma nav et je suis assez sure de mon plan: en profitant de la marée descendante, nous pourrons glisser toute la nuit le long de la côte espagnole dans une veine de courant favorable -qui va d'Est en Ouest- que j'ai repérée grâce aux cartes de courants du détroit que Gonzalo (Infante), météorologue de la Volvo Ocean Race m'a données quand j'étais à Alicante. Si tout se passe comme prévu, cela nous permettra d'être à l'aube à une bonne position pour commencer la traversée du détroit que je tiens à traverser de jour. Les courants et les cargos sont les principaux problèmes pour tous voiliers qui tentent de traverser. Mais un autre petit détail est à prendre en considération: le vent est de secteur Est, soit favorable, mais sa force, annoncée à 35 noeuds fichiers, risque de rendre la navigation relativement sportive. On m'a bien mise en garde, mais à l'heure du départ, je reste persuadée que Tara Tari peut s'en sortir et que c'est le bon moment pour partir. Le vent est fort mais dans la bonne direction et je préfère ça à me retrouver en plein détroit sans un souffle d'air puisque je ne suis pas encore certaine de la durée du souffle de vie de mon brave petit DjianDong.

mon plan de nav, glisser la nuit et traverser de jour

Il est 20h15 et nous larguons les amarres. Angel, religieux qui vit dans son bateau, fait une prière pour que "Dieu aide Tara Tari à arriver sans encombre jusqu'aux îles Canaries", et je lui confie quelques bricoles qui ne me seront plus utiles mais qui pourraient lui servir dans sa future traversée. Angel aura été l'une de ces personnes qui auront marqué mon escale à La Linea - Gibraltar.
Le vent est très doux, mais suffisant pour partir à la voile du ponton. Sur le quai, quelques personnes se sont regroupées et regardent les jolies voiles oranges de Tara Tari. Parmi eux, un Anglais m'interpelle: "Ton voilier et toi étiez à Vannes il y a un an, à la Semaine du Golfe?! je vous reconnais: tu avais un bandage à la jambe!" Je n'en reviens pas. "Oui, c'est bien nous! il y avait Corentin aussi, c'est son bateau!" Et nous sortons du port. Je repense alors à la Semaine du Golfe, début juin 2011: c'était ma première nav à bord de Tara Tari et je ne marchais pas encore vraiment bien. Doux souvenir avant d'aller dans le dur détroit.

Départ de la marina Alcaidesa le 9 mai à 20h15
La traversée de la baie d'Algeciras est plutôt agréable: pas trop de vent, pas trop de vagues, et malgré les cargos, ces quelques heures nous laissent le plaisir de discuter un peu des derniers mois avec Maxime qui vient d'arriver et nous grignotons un peu de pain et de jambon. Et puis, Maxime part dormir: il faut prendre des forces tant que cela est possible. Le pilote automatique ne marche pas. Il est 1h du matin et je vire la cardinale Est au sud de la baie qui marque notre entrée dans détroit. C'est aussi à ce moment précis que la lune se lève au dessus du Maroc et je me souviens avoir soufflé un grand coup en disant à voix haute: "Tara Tari, nous voilà dans le détroit, nous allons quitter la Med et entrer en Atlantique: nous allons vivre notre premier 'détroit'".
Le vent se renforce aussitôt et j'essaie de me placer dans la veine de courant favorable. Il fait nuit, mais je peux distinguer quelques tourbillons proches de ma petite coque en jute. Nous accélérons et je souris: "excellent, nous sommes bien placés! héhé!" ça dépote au portant, et je tiens le cap, vers le phare de Tarifa. Nous sommes bientôt à la hauteur du phare et Maxime vient me relayer à la barre; barre à laquelle j'étais depuis six heures. A l'intérieur du bateau, je fais un point sur la carte, et m'allonge. Mais au bout de quelques minutes seulement, Maxime m'appelle: le vent est très fort et la mer se soulève soudainement. Nous enchaînons quelques empannages. Il est 3h du matin et la fête commence.

Je dis "la fête" parce qu'avec un peu de recul, j'ai bien l'impression qu'il s'agissait d'une fête d'au revoir de la mer Méditerranée. Cette mer avec laquelle Tara Tari et moi avons passé l'hiver compte bien célébrer notre départ. Les prévisions annonçaient 15-20 noeuds pour cette nuit, mais il est évident qu'il y a plus et nous nous adaptons: d'abord un ris dans la grand voile, et assez vite, vers 4h, un deuxième. La grand voile est désormais plus petite qu'une voile de planche à voile. La mer est démontée et rend la navigation très inconfortable. On m'avait bien dit que le vent d'Est soulève la mer, les choses ne vont donc pas se calmer. A la barre, Maxime fait son possible pour éviter les empannages, mais c'est compliqué. Nous passons Tarifa. Tarifa est un spot de kite-surf mais visiblement aussi de rodéo. "C'est quoi, cette mer, toute furieuse?!" Nous sommes bien attachés, harnais, longes et port des gilets de sauvetages de rigueur, nous savons que cela ne fait que commencer. Je descends dans le bateau pour faire le point: il est bientôt 6h et nous nous trouvons là où nous ne devrions pas être, c'est à dire près d'une zone de hauts fonds qui est évidemment l'une des explications à la taille des vagues. Il faut absolument se recaler plus Sud. Les vagues de travers nous malmènent mais nous arrivons à nous extirper un peu. A 7h du matin, alors que le jour arrive, nous sommes parfaitement placés pour démarrer notre traversée du détroit.

Et nous commençons la traversée. Les conditions ont empiré. Avec le jour, la vision des vagues est très impressionnante. Elles sont immenses. Vraiment immenses. Les vagues déferlent sur nous en faisant un bruit assez terrifiant. Il doit y avoir 40 noeuds de vent d'Est. Bâbord amures, nous allons bien vite. Mais Tara Tari est un petit voilier ardent: il remonte au vent et nous ne pouvons éviter de nombreux départs au lof. Pour ceux qui ne comprennent pas le jargon marin, je vais essayer d'expliquer le phénomène. Nous avons le vent de travers, et le vent pousse la grand voile si fort que nous pivotons autour de l'axe vertical du bateau, c'est à dire autour du mât, et le nez de Tara Tari pointe alors vers le lit du vent, soit vers l'Est. Ce qui est très désagréable car un peu face au vent pendant quelques secondes, nous ralentissons et nous nous prenons les vagues presque de face. Nous nous prenons des tonnes d'eau. Il n'y a pas grand chose à faire quand le bateau part au lof; dès que nous le sentons 'partir' nous crions (avec le bruit des vagues nous ne pouvons nous entendre autrement) tour à tour "choque!" Choquer les voiles, cela veut dire les ouvrir. Je choque la voile d'avant, le foc, puis le reborde, et nous progressons comme nous pouvons sur notre route, vers l'Ouest du Cap Spartel. Les rafales sont si fortes, qu'à plusieurs reprises Tara Tari se couche sur son côté droit. Et quand je dis "il se couche", je n'exagère pas: la dérive au vent est à l'horizontal et le mât touche l'eau. La mer est si démontée que l'eau entre alors par la descente, que je tente de protéger comme je peux mais que je ne ferme pas car j'ai un pied calé contre la paroi intérieure tribord pour ne pas tomber à l'eau. Le bateau couché, je me tiens à la force du bras gauche, la main accrochée à un chandelier. C'est assez impressionnant. Maxime est toujours à la barre: la barre est lourde, sa force physique en fera un meilleur barreur que moi dans de telles conditions. A l'intérieur du bateau, c'est le chaos. Les sacs et tous les petits bidons de rangement pourtant amarrés sont tombés sous le vent. Et nous continuons à nous prendre des tonnes d'eau. A l'arrière du bateau, nous avons mis des bouts à l'eau, en cuillère, pour ralentir un peu cette course folle.

Le soleil se lève sur l'Espagne, et un gros cargo rouge est en approche, dans le rail descendant que nous traversons. Bien qu'il semble passer derrière nous, j'attrape la vhf et le contacte en anglais:
- "To the big red cargoship vessel dans le détroit de Gibraltar; ici le voilier Tara Tari; ma position est 35°57 N  05°52W, je répète, ma position est 35°57 N  05°52W, nous sommes juste devant vous, à bâbord de votre étrave: pouvez-vous me confirmer que vous nous avez bien vus?"
- "Good morning! je n'arrive pas à vous voir en visu, mais je vous vois sur mon ordinateur! don't worry!" répond aussitôt une voix d'homme avec un ton bien rassurant.
- "Ah... si vous regardez bien, entre deux déferlantes, peut-être verrez-vous un petit bout de mât orange... nous sommes là!" plaisante-je même si ce n'est pas le moment de plaisanter.
- "Les conditions sont bien dures; Good Luck!" me dit-il très gentiment, sans oser dire "mais qu'est-ce que vous faites en mer en ce moment!?!"

superbe lever de soleil, le 10 mai dans le détroit de Gibraltar
Je regarde Maxime et lui dis "il nous a sur son ordi, c'est bon; bien sympa ce grand cargo rouge sous ses airs de bateau qui fait peur! On a plaisanté et il nous a souhaité 'good luck', c'est sympa!" Un peu d'humour pourrait détendre l'atmosphère. J'en profite pour lui dire à quel point je trouve le décor magnifique; ce cargo rouge dans cette mer grise si belle et le soleil orange qui se lève sur l'Espagne: c'est superbe!

Comme pour tout dans la vie, il faut voir le bon côté des choses: les conditions sont si rudes, que les cargos ont dû attendre un peu que le vent et surtout la mer se calment avant de passer dans le détroit, du coup nous n'avons croisé que 5 cargos! Autant dire peanuts pour le détroit de Gib! Maxime a visé les fesses du 4ème cargo du rail montant et nous n'avons pas eu à contacter les autres navires. Nickel! Et puis avec ces vagues, oubliés les problèmes de courant!! Nous filons à 6 noeuds de moyenne, bien sur notre route malgré nos si nombreux départs au lof. Tara Tari est bien vaillant!

les cargos dans le détroit en temps normal (ce matin) AIS tm
"Tu aurais dû filmer!!" Je sais.... je regrette, je n'ai pas pris une photo ni filmé ne serait-ce qu'un instant. Aucune image de ce qui aura été notre fiesta de despedida de la Med. Les appareils bien qu'en boitiers étanches se seraient noyés et puis j'avoue ne pas avoir eu vraiment la tête à ça pendant la traversée du détroit. D'où mes gribouillages.

alors? Where is Tara Tari? regardez bien, on le voit :)
Dans la bagarre (parce que ça ressemble à une bagarre), j'ai deux vraies préoccupations: que Maxime soit en sécurité et l'état de Tara Tari. Maxime est à la barre parce que j'estime qu'il est meilleur à ce moment là et parce que je pense que c'est la place la plus sécu possible, il porte aussi mon harnais d'escalade, la longe la plus récente et le meilleur gilet de sauvetage. Quant à Tara Tari: il souffre le pauvre, mais tient plutôt bien. Les écoutes du foc ont lâché à plusieurs reprises: l'une se déclipse du bloqueur, et l'autre a fini par casser.

Le foc est libre et la voile claque dans le vent; pas le choix, je dois aller à l'avant pour sécuriser tout ça. Les conditions ne sont pas complètement appropriées à une promenade à l'avant du bateau. Maxime me propose d'y aller, c'est sympa, mais je refuse car j'estime être plus à l'aise pour me déplacer sur ce petit bateau et j'y vais donc, en faisant extrêmement attention.

A l'avant, je vole dans les vagues. "Une main pour le bateau, une main pour le bonhomme!" ce n'est pas le moment d'oublier la règle de survie! Je m'accroche aux chandeliers et arrive à l'avant. Je récupère la voile, mais très vite elle se bloque: les deux premiers mousquetons qui tiennent le foc à l'étai se sont accrochés au grand étai: impossible donc d'affaler complètement la voile! Et dans cette mer, avec le bateau qui se couche, je ne peux pas imaginer me mettre debout. Avec des gestes, car ma voix ne porte pas jusqu'à l'arrière, je tente d'expliquer à Maxime ce qui coince pour qu'il comprenne ce que je fais. Comme depuis le début de mon aventure, j'essaie de ne pas agir dans la panique. Alors je renoue la drisse du foc et je me cale, assise à l'avant, accrochée au chandelier. Je regarde le foc pris sur les deux étais, je regarde le mât et la manière dont se comporte TaraTari; quelques instants d'observation zen me permettront d'agir de manière plus réfléchie. Et je me dis que si les mousquetons se sont accrochés là, c'est qu'ils se sentent plus en sécurité ainsi. Je décide de les laisser comme ça, enroule la voile autour de l'étai et ficèle le tout avec un bout que j'avais apporté à l'avant. Les vagues déferlent, ce n'est pas agréable. A ce moment là, je repense à ce que Sidney m'avait dit "c'est de l'eau, tu sècheras plus tard" et puis je pense aussi aux photos de la Volvo Ocean Race, quand on voit les gars au poste de n°1 qui s'en prennent plein la figure. "Life at the extreme!" nous y sommes aussi les amis! Je prends une autre minute à l'avant pour vérifier si ce que j'ai fait tient ou pas, et observe le mât. ça à l'air d'être ok! Dès que les conditions se calmeront, je reviendrai libérer les mousquetons afin que nous puissions renvoyer le foc. Je reviens à l'arrière du bateau.

Maxime barre dans ces conditions infernales depuis plus de 5 heures; le pauvre c'est éprouvant. Il est fatigué mais ne se plaint pas. Nous sommes en approche du Cap Spartel, la pointe marocaine qui, une fois dépassée, devrait être garante d'une mer moins agitée.

Il est 9h du matin et nous sommes désormais entrés en Atlantique. On se tape dans la main. "On a réussi!" et je regarde Tara Tari "Bravo mon beau petit bateau, tu es bien courageux!" C'est bien que nous en soyons enfin sortis car nous grelottons de froid parce que nous sommes trempés, et parce que nous sommes tous les deux épuisés. Dans cette fête d'au revoir, la Med aura voulu quelques offrandes. Nous avons perdu des bouts, l'ancre flottante, un balais en bois..... rien de bien important. En revanche, je suis bien désolée car en se couchant sur tribord, TaraTari sur le flanc, le pot d'échappement du moteur était sous l'eau; Djian Dong s'est noyé, comme si on remplissait le tuba d'un plongeur. Les conditions restent musclées, mais tellement moins que dans le détroit. Nous essayons de démarrer Djian Dong car cette apnée forcée m'inquiète: Un point dur et puis quand nous arrivons enfin à tourner la manivelle, le pot d'échappement fait des bulles, recrache de l'eau! Pauvre Djian Dong; à peine réparé le voilà noyé! Nous sommes tellement lessivés que nous décidons de voir ça quand la mer sera plus calme.

Maxime va dormir; il est épuisé. Avant d'aller dormir, il me confie avoir eu peur: "Je nous ai vus sur le toit. J'imaginais Tara Tari retourné et je me suis dit que les secours viendraient rapidement dans le détroit... j'ai aussi eu le temps de me demander si j'avais bien une copie numérique de mes papiers d'identité, au cas où toutes nos affaires resteraient au fond du détroit...." Nous parlons un peu.

Maxime part se reposer et je reprends la barre - le pilote est off en ces temps laborieux. Et je pense à ce que vient de me dire Maxime, je me sens un peu mal car curieusement je n'ai pas eu peur et je n'ai surtout pas pensé du tout à d'un éventuel chavirage. Il est vrai qu'à plusieurs reprises, Tara Tari sur le flanc a mis de bien longues secondes à se redresser, mais je n'ai pas douté. Suis-je trop confiante? J'ai confiance en Tara Tari... cet hiver, les conditions ont été difficiles et Tara Tari a tenu. Alors là, je ne sais pas, mais je n'ai pas du tout vécu la traversée du détroit comme Maxime. L'eau dans la figure c'était pénible, la nav a été éprouvante, ça c'est certain! mais ma seule inquiétude aura été une éventuelle casse du mât ou d'un autre élément qui aurait compliqué les choses. Au fond de moi, je savais que Tara Tari allait tenir bon, qu'il fallait vraiment faire la part des choses entre le confort et le danger. Nous ne déplorons à l'issue du détroit, aucune avarie majeure. La réparation de l'entrée d'eau tient plutôt bien, ce qui change tout en comparaison aux efforts que j'ai dû fournir cet hiver. Sincèrement, selon moi, il s'agissait sur cette traversée d'un problème de confort, plus que d'un problème de danger.


Tara Tari a tenu bon, et nous aussi. ça a été dur, mais nous avons réussi. Maxime a barré super bien et je n'aurais certainement pas pu traverser sans son aide; être 2 était nécessaire, c'est une certitude. Ce n'était pas plus dangereux que si nous avions été sur un autre voilier: cela aura juste été bien plus inconfortable qu'à bord d'un autre voilier. Mais aucun autre voilier n'a traversé le détroit, ce jeudi matin. Et je n'ai par ailleurs aucun regret sur la décision de ce moment de départ. Les conditions ont été plus dures que prévues, mais tout s'est passé comme il fallait, c'est à dire : bien.

Avec Maxime nous sommes d'accord pour dire que notre baptême de traversée du détroit de Gibraltar aura été la navigation la plus impressionnante de toutes les navs que nous avons pu vivre jusqu'à aujourd'hui.

Nous voilà désormais en Atlantique et je suis heureuse.
La mer est encore bien formée et une autre fête est sur le point de commencer...

Capucine